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LETTRE SUR L’ÉGYPTE.

m’a-t-il dit, que les moucherons et les cousins ne soient pas encore arrivés ; ils ne viennent qu’au mois de juin ; alors on ne peut ouvrir la bouche sans en avaler, ni montrer un coin de sa peau sans être couvert de piqûres. » Nous devons donc prendre notre mal en patience, et nous applaudir d’être encore au mois de mars, où tous les ennemis du repos de l’homme ne sont pas entrés en campagne ; mais je ne vous ai pas encore dit tout ce qu’il y a de plus incommode et de plus dégoûtant dans notre habitation : ce sont les rats et les souris. Nous n’en avions point lorsque nous sommes sortis de Rosette, et maintenant la kanje en est remplie ; chaque fois qu’on s’approche du rivage, et qu’on attache la kanje, les rats ne manquent pas de grimper le long de la corde ; il n’est point de village qui ne nous ait envoyé sa colonie ; ils traversent en plein jour notre petite chambre ; la nuit, ils nous passent sur le corps ; ils savent mieux où sont nos provisions que notre cuisinier Ibrahim ; en voyant cette engeance qui nous tourmente, je ne serais pas très éloigné de reconnaître les chats pour des dieux, comme on le faisait à Bubaste. Cette multitude de rats, après avoir dévoré tout ce que nous avons en comestibles, rongent les planches du bateau ; ce matin, nous avons été réveillés par des cris de détresse partis de la kanje qui marche de conserve avec nous ; nous nous sommes levés pour aller au secours ; nous avons trouvé que les rats venaient de faire une large ouverture au fond du bateau ; l’eau y pénétrait à gros bouillons ; plusieurs ballots de toiles peintes ont été avariés ; on a eu toutes les peines du monde à réparer la kanje et à la mettre en état de continuer sa route.

Les journées nous paraissent longues, et nous faisons ce que nous pouvons pour les abréger ; nous avons eu soin d’abord de tirer nos livres de nos malles et de les dérober à la voracité de nos incommodes et dangereux commensaux. Tous ces livres, parmi lesquels se trouvent beaucoup de relations de voyages, sont pour nous comme des compagnons, comme une caravane choisie, au milieu de laquelle nous poursuivons notre route. Nous les interrogeons sur l’histoire, sur les mœurs et les monumens du pays, nous n’oublions pas surtout les Mémoires de la commission d’Égypte, si remplis de notions positives ; nous relisons quelquefois Savary, malgré ses exagérations, et nous ne dédaignons point Volney, mal-