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que tout d’elle-même, et aussi cette incubation sommeillante qui attend son heure. M. Ballanche, quoique né à Lyon, et malgré ses inclinations mystiques et ses dispositions magnétiques, resta étranger, et à l’école mystique qui avait dû laisser quelques traditions depuis Martinez Pasqualis, et à l’école magnétique que l’exaltation des esprits, pendant le siége, enrichissait d’observations extraordinaires. Sa nourriture habituelle était Pascal, Fénelon, Jean-Jacques, Bernardin, Virgile, Delille, tout ce que l’éducation classique indiquait alors ; à quoi s’ajoutaient les facilités précieuses de lectures diverses que la librairie de son père lui fournissait. Le livre du Sentiment atteste à chaque page cette indécision d’un talent qui s’essaie, ce naïf empressement de l’ame vers tout rayon qui la colore. Il lut des fragmens de cet ouvrage, le soir même du 18 fructidor, au sein d’une société littéraire de très jeunes gens dont MM. Dugas-Montbel et Ampère faisaient partie. Camille Jordan, sitôt célèbre, et qu’atteignirent les événemens de fructidor, bien que l’aîné de M. Ballanche, était dès lors son ami. Cette ame ardente, dévouée, religieuse, de Camille, avait deviné les trésors de l’autre ame sous l’enveloppe obscure.

Dans la Vision d’Hébal, de ce jeune Écossais que je crois être tout-à-fait à M. Ballanche ce qu’Obermann, Adolphe et René sont à leurs auteurs, il est dit : « Vers l’âge de vingt et un ans, sa santé se raffermit… Il ne lui resta plus, pendant quelques années, qu’un ébranlement de nerfs et une sensibilité très facile à émouvoir. Les notions qu’il s’était faites du temps et de l’espace subsistaient ; ses méditations sur l’homme collectif avaient la même suite et la même intensité… On le croyait distrait lorsqu’il était occupé à gravir les hauteurs de la pensée, à descendre dans les abîmes des origines, etc., etc. » Dans ce portrait idéal tracé à distance et au point de vue des années condensées, il ne faudrait pas chercher un renseignement biographique précis. Il se passa entre l’affermissement de la santé du véritable Hébal et son éclosion philosophique quinze années d’études, de rêveries, d’affections, une longue phase individuelle, depuis le livre du Sentiment jusqu’au poème d’Antigone qui est à la limite et qui confine aux secondes perspectives. Durant ces quinze années, si on y porte son attention, plusieurs des idées futures de M. Ballanche se retrouvent, il est vrai, dans ses rares