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POÈTES ET PHILOSOPHES MODERNES DE LA FRANCE.

homme a mieux trouvé ; le Seigneur est avec ceux qui font le bien. » La Harpe, devenu dévot, aimait à citer les psaumes.

M. Ballanche avait accueilli le Consulat avec transport ; l’organisation officielle du culte lui donna une première impression de crainte ; il trouvait la religion plus belle dans la persécution que dans une reconnaissance pompeuse, et il eût préféré pour elle la liberté à cette forme de suprématie. Le meurtre du duc d’Enghien le sépara tout-à-fait d’un pouvoir impudemment despotique, et, à partir de ce jour, il n’éprouva plus que le sentiment graduel d’une oppression croissante. Mais déjà des affections privées, des espérances bientôt entrecoupées de douleurs, se joignaient à cette souffrance de gêne politique, pour détourner la pensée de M. Ballanche et retarder son essor. Plus d’une fois, en ces années, il se dirigea vers Montpellier à travers les Cévennes ; il vit dans l’un de ces trajets M. de Bonald, le gentilhomme de l’Aveyron, à Milhau ; mais ce n’était pas le philosophe profond dont il partageait volontiers la doctrine sur la parole, qu’il allait surtout visiter. Lui-même, dans un neuvième et dernier fragment daté de 1830, il nous a laissé entrevoir son pieux et triste secret : « Le 14 août 1825, dit-il, une belle et noble créature qui m’était jadis apparue et qui habitait loin des lieux où j’habitais moi-même, une belle et noble créature, jeune fille alors, jeune fille à qui j’avais demandé toutes les promesses d’un si riche avenir ; en ce jour, cette femme est allée visiter, à mon insu, les régions de la vie réelle et immuable, après avoir refusé de parcourir avec moi celles de la vie des illusions et des changemens. Hélas ! je dis qu’elle avait refusé ; mais il y a là un mystère de malheur que je ne saurai jamais sur cette terre. » Les huit autres fragmens écrits en 1808 ne sont que des élégies en prose qui peignent avec discrétion et douceur les vicissitudes de ce noble attachement. C’est déjà la manière littéraire d’Antigone ; aux divagations perpétuelles du livre du Sentiment a succédé une mesure grave, sobre, solennelle à la fois et charmante de mélodie, un écho retrouvé du mode virgilien. Si ces huit fragmens étaient en vers ce qu’ils sont en prose, M. Ballanche aurait ravi à M. de Lamartine la création de l’élégie méditative. La philosophie, qui en est simplement religieuse et chrétienne, n’a rien de cette nouveauté un peu étrange et de cette phraséologie essentielle à une