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doctrine, et que la poésie ne réclame pas. Les plaintes du poète sont celles de toute ame humaine contristée, depuis Job : « Nous serions bien moins étonnés de souffrir, si nous savions combien la douleur est plus adaptée à notre nature que le plaisir. L’homme à qui tout succède selon ses vœux oublie de vivre. La douleur seule compte dans la vie, et il n’y a de réel que les larmes. » Et ailleurs : « Montrez-moi celui qui a pu arriver à trente ans sans être détrompé. Montrez-le-moi, ce mortel privilégié : son imagination a tenu toutes ses promesses ; l’amour l’a conduit par la main ; heureux époux, père plus heureux encore, il n’a acheté par aucun tourment le charme des affections du cœur ; il a connu les agrémens de la société sans ignorer les plaisirs de la solitude ; il n’a rencontré sur sa route que des hommes bons et généreux, et lui-même n’a jamais vu au fond de son ame que des pensées douces et calmes qu’il s’est plu à entretenir ; il a joui de ses souvenirs comme il avait joui de ses espérances ; il a trouvé dans le passé le gage de l’avenir : montrez-le moi !… Vous riez en gémissant ! Vous ne savez où trouver cette créature exceptée de la commune loi ; c’est qu’en effet elle n’existe point, elle n’a jamais existé. Un déluge de maux couvre la terre ; une arche flotte au-dessus des eaux, comme jadis celle qui portait la famille du Juste ; mais cette arche-ci est demeurée vide, nul n’a été jugé digne d’y entrer ! »

Un hasard heureux a mis entre nos mains une petite relation d’un pélerinage au Mont-Cindre près Lyon, relation écrite par une jeune Languedocienne de seize ans. Cette personne distinguée, la même que celle qui mourut le 14 août 1825, fit ce pélerinage, vers 1808, avec un guide, jeune et prudent, qui était l’un des amis de son père et qu’elle désigne sous le nom de M. Pierre Simon. En s’élevant sur la montagne, la jeune personne, à l’imagination sensible et pieuse, remarque que les fleurs y sont la plupart d’un bleu pâle comme le ciel de cette contrée, qu’elles ne penchent point sur la terre comme celles de nos plaines : « Presque toutes celles que nous vîmes, ajoute-t-elle, étaient de petites cloches. N’est-ce point parce qu’étant privées d’eau sur les lieux élevés et exposées à l’ardeur du soleil, cette divine Providence, qui donne sa parure au lis des champs, a voulu que leur calice pût retenir la rosée du matin, et que la fleur épanouie rendît à sa tige le bienfait qu’elle en avait