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des formes qu’on eût dit empruntées aux belles Italiennes du Titien. Thécla était née dans les possessions danoises de l’Inde. Sa mère était Norvégienne, et tandis que sa peau un peu brune, que ses cheveux noirs et brillans portaient l’empreinte du soleil de l’Asie, ses grands yeux bleus, son front blanc et la teinte rosée répandue sur tous ses traits, rappelaient le Nord et ses filles calmes et innocentes. Une sorte d’insouciance nonchalante formait le caractère distinctif de sa beauté. Était-ce la froide et sainte apathie des latitudes glacées ou l’abattement voluptueux de l’Orient qui donnait tant de limpidité à ses regards ? Si on l’avait vue avec une bandelette d’or sur le front, les oreilles ornées de touffes des fleurs du Sirîcha, les lèvres rouges de bétel, et la gorge emprisonnée dans un étui de santal, étoile de diamans et de perles, on l’eût prise pour Sacountala ou pour la belle Parvâti, cette déesse indienne d’une complexion si amoureuse, que les mimosa des bords du Gange se flétrissaient sous son souffle ; mais, vêtue d’une longue robe blanche qui tombait en plis réguliers sur l’extrémité de son petit pied de satin noir, ses cheveux séparés sur son front partagé en deux par une mince chaîne d’or où se balançait un léger rubis d’une nuance pâle, elle ressemblait alors à une pudique et chaste création d’Albrecht Durer. C’était une belle énigme à deviner.

Thécla avait une douce voix, un doux sourire ; ses paroles tombaient en cadence et avec grâce, le plus souvent elle ne les achevait pas. Sa conversation était simple et attachante à la fois. Elle avait vu l’Inde dans son enfance, et elle en parlait avec autant d’enthousiasme que le lui permettait l’air d’insouciance et d’abandon qu’elle mettait à tout. On prenait plaisir à la voir se reporter de ce triste et sombre rivage de l’Océan aux bords de l’Hagly tout festonnés de lianes et de palmiers, et des maisons de Luc, avec leurs mares immondes et leurs murailles noircies, à la ville peinte et parfumée de Serampoor, où se dessinaient des pagodes émaillées, et où l’eau jaillissait partout dans des cuves de marbre, ombragées par d’immenses platanes. Comme elle regrettait ses belles mers bleues, avec leurs éblouissantes barres d’écume, ses larges grèves de l’Océan indien, où, couverte d’un simple pagne blanc, elle venait, au temps de son enfance, se rouler dans les flots ! Mais ses regrets étaient si gais, mais elle paraissait si heureuse ailleurs, qu’on ne