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SOUVENIRS DE LA NORMANDIE.

tance, et ils s’en allaient ensemble courir dans les bois et sur les rochers. Souvent, ils venaient s’asseoir dans une des parties les plus désertes de l’île, sur une grande pierre druidique qui domine la baie de l’Ancresse, où Robert Ier, le fameux duc de Normandie, battu par la tempête, fut recueilli dans le couvent du vieil abbé de Saint-Michel. Tantôt ils montaient les ruines du château de l’Archange, et, du haut d’une vieille tour à demi écroulée, où l’on ne parvenait que le long des rochers escarpés, que des tapis de goémons humides rendaient encore plus glissans, ils se livraient à toute l’exaltation que donne un sentiment partagé, au milieu d’une nature poétique. Thécla ne vivait plus que pour Henri. Elle lui confessa ingénument tout le bonheur qu’elle avait éprouvé à le revoir, ses appréhensions durant les jours qui les avaient séparés, les regrets de son départ, et le charme qu’elle avait toujours trouvé près de lui. La nuit les surprenait souvent dans ces entretiens. Thécla se hâtait alors de regagner la ville par des sentiers détournés, et Henri trouvait au retour un petit billet par lequel on lui annonçait qu’on était arrivée sans danger, et sans qu’une si longue absence eût éveillé les soupçons de la famille.

D’autres fois, Thécla l’attendait dans un petit ravin, derrière les remparts du fort George, où il trouvait deux de ces poneys dont on se sert dans le pays, qui franchissent d’un pied sûr les chemins rocailleux, et gravissent légèrement les montées les plus difficiles. À cheval, toute l’indolence de Thécla disparaissait. Elle lançait joyeusement sa monture au galop, et semblait défier les nuages de la suivre dans une course si rapide, qu’elle était de temps en temps forcée de s’arrêter pour attendre Henri. Il arrivait aussi qu’on rencontrait à quelque distance un habitant de la ville ou un officier du régiment anglais, qui reconnaissait Thécla et la regardait avec curiosité. Henri éprouvait alors pour elle un moment d’inquiétude ; mais Thécla lui disait gaîment : « Allons, courage, il faut lui échapper ! » et elle partait, à bride abattue, le long des chaînes de rochers, en poussant de grands éclats de rire.

D’autres fois aussi, quand la nuit était bien sombre, et quand le vent soufflait bien fort dans la baie, Henri, sous son manteau, se présentait avec précaution à la porte de la petite maison du quartier Tranquille. La porte s’entr’ouvrait bientôt ; une douce main