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SOUVENIRS DE LA NORMANDIE.

des, tu débites des histoires impossibles… Si c’était à Paris ou à Londres que celle-ci fût arrivée, à la bonne heure, mais à Guernesey, dans la plus petite des villes… Allons ce sont des mœurs de grandes dames que tu nous peins là. Tu te trompes de scène.

— Patience donc ! mon histoire n’est pas si invraisemblable. Le comédien regardait beaucoup la dame quand il était en scène, ce qui prouve qu’il n’avait pas mauvais goût ; la dame finit, dit-on, par regarder le comédien, car les femmes sont toujours bien aises qu’on les regarde, et, après tout, c’était le seul moyen qu’elle eût de le remercier de sa distraction. On en parla, on en fit compliment au comédien, et lui, qui ne manquait pas d’esprit, écrivit une belle épître où il peignait, en grandes phrases de théâtre, la douleur qu’il éprouvait de l’avoir involontairement compromise ; cette douleur était si forte, qu’il ne serait satisfait qu’après l’avoir témoignée lui-même ; il savait combien il était indigne d’une telle faveur, on allait le trouver bien hardi et bien indiscret, mais il était homme d’honneur, on pouvait se fier à lui ; enfin, il lui écrivit toutes les sottises qu’on écrit à une femme quand on veut lui en faire faire une.

— Et cette lettre ?…

— Cette lettre ne fut pas renvoyée comme l’auteur s’y attendait. Il fut reçu lui-même, et si bien reçu, ma foi, qu’il partit de l’île triomphant, et n’ayant guère confié son secret qu’à ses camarades, à Evan, à moi et à sept ou huit officiers de la garnison. Et maintenant que tu m’as remis à toute cette histoire, le nom de la dame me revient. Elle est veuve d’un mari mort ou absent, qui se nomme Fitzborne ou Osborne, avec un petit nom baroque dont je ne me souviens pas. Si c’est un conte, il est aussi connu que la légende de l’île.

La foudre venait de tomber sur la tête de Henri.
............................. ............................. En revenant un soir de l’opéra, je trouvai le billet suivant : « Je pars, et j’ai besoin d’un ami sûr qui veuille me consoler d’un chagrin que je ne lui dirai pas. Veux-tu m’accompagner dans mon voyage ? Je ne sais s’il durera huit jours ou six mois ; mais s’il t’effraie, je veux au moins t’embrasser avant mon départ. » Celui qui m’avait écrit ce billet m’attendait dans ma chambre, où il se pro-