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trailles de la terre, ou bien une lumière qui doit jaillir comme un volcan et promener ses clartés magnifiques sur le monde ?

— La vertu n’est peut-être rien de tout cela, lui dis-je, ni le diamant enseveli, ni l’eau dormante, mais encore moins le fleuve qui déborde, ou la lave qui dévore. J’ai vu le Rhône précipiter son onde impétueuse au pied des Alpes. Ses rives étaient sans cesse déchirées par son impatience, les herbes n’avaient pas le temps de croître et de fleurir. Les arbres étaient emportés avant d’avoir acquis assez de force pour résister au choc, les hommes et les troupeaux fuyaient sur la montagne. Toute cette contrée n’était qu’un long désert de sable, de pierres, et de pâles buissons d’osier où la grue plantée sur une de ses jambes ligneuses craignait de s’endormir toute une nuit. Mais j’ai vu, non loin de là, de minces ruisseaux s’échapper sans bruit du sein d’une grotte ignorée et courir paisiblement sur l’herbe des prés qui s’abreuvait de leur eau limpide. Des plantes embaumées croissaient au sein même du flot paisible, et la bergeronnette penchait son nid sur ce cristal, où les petits, en se mirant, croyaient voir arriver leur mère et battaient des ailes. La vertu, prends-y garde, ce n’est pas le génie, c’est la bonté.

— Tu te trompes, s’écria-t-il, c’est l’un et l’autre ; qu’est-ce que la bonté sans l’enthousiasme ? qu’est-ce que l’intelligence sans la sensibilité ? Toi, tu es bon, et moi je suis enthousiaste ; crois-moi, nous ne sommes vertueux ni l’un ni l’autre.

— Eh bien, contentons-nous, lui dis-je avec un soupir, de n’être pas dangereux. Regarde ce palais, songe à ceux qui l’habitent, et dis-moi si tu n’es pas réconcilié avec toi-même ?

— Hideuse consolation ! répondit-il d’un ton qui m’émut profondément ! Eh quoi ! parce qu’il y a des serpens et des chacals, il faut se glorifier d’être une tortue. Non, mon Dieu ! vous ne m’avez pas créé pour l’inertie, et plus le vice rampe et glapit autour de moi, plus je me sens le besoin d’étendre mes ailes et de frapper ces vils animaux du bec de l’aigle. Que veux-tu dire avec tes ruisseaux paisibles et tes grottes ignorées ? Penses-tu que la vertu soit comme ces poisons qui deviennent salutaires en se divisant ? crois-tu que douze hommes de bien, voués à l’obscurité et renfermés dans les voies étroites de la vie intérieure, soient plus utiles