Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/173

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
169
UNE NOCE À CONSTANTINOPLE.

tations ? C’est que l’air du harem leur pèse ; c’est que la solitude de la maison les ennuie. Et pourrait-il en être autrement, lorsqu’excepté les soins domestiques dont elles sont même dispensées par leurs serviteurs, elles n’ont dans leur intérieur, grâce à une complète ignorance, aucune de ces occupations que créent la lecture, l’étude, la culture des arts, ou l’éducation des enfans ? Aussi sont-elles d’une étonnante intrépidité aux fêtes. Du reste elles y jouissent des meilleures places qui leur ont été réservées, et elles sont protégées par des factionnaires contre l’insolence des curieux. Hâtons-nous, pour être juste, de déclarer que de la part des Turcs il y a en général pour elles mieux que des égards obligés, c’est l’habitude du respect ; bien entendu que leur respect pour les femmes est celui des propriétaires pour la propriété. Toutefois, elles n’ont pas la fête tout entière : tant que le soleil veille pour les maris, bien : mais quand il disparaît, la retraite bat et sonne ; adieu les feux d’artifice, adieu les illuminations ! ordre de rentrer. Pauvres femmes ! à quel régime militaire sont-elles soumises, la protection des baïonnettes et la discipline du tambour ! Mais qui sait ce qu’un tel ordre aura soulevé de murmures contre la rigidité de leur dépendance, et aiguillonné de désirs d’émancipation ? Cette fête n’aura-t-elle pas été le foyer d’une conspiration plus décidée contre tous les vieux usages maintenus par les maris ? Elles voudront aussi pour elles le bénéfice de la réforme. Patience ! déjà, à ce qu’on assure, Mahmoud permet à ses femmes, quand elles le désirent, de s’habiller à l’européenne dans le harem : Mahmoud est un homme de culte, comme Méhémet-Ali est un homme d’industrie ; il a entrepris la toilette de tout l’empire ; hommes et femmes y passeront : c’est le despote du costume. Espérons donc que bientôt le voile tombera, et ce sera bien. Le voile appliqué par la main de l’homme sur la face de la femme est un masque de plomb ; de ce voile où il l’enferme, il n’y a pas loin au sac où il la coud vivante pour la jeter au canal : le mystère, imposé à la femme par l’homme, c’est la prison ; odieux mystère ! et pourtant il y a dans ce voile dont la femme se couvre librement une grâce indéfinissable, dans ce voile qui flotte et ne pèse pas, dans ce léger nuage dont à son gré l’étoile s’enveloppe ou se dégage !… Les femmes de l’Occident aujourd’hui savent peu le mystère ; elles ont dû lutter à front