Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/185

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
181
STATISTIQUE PARLEMENTAIRE.

charger est une mission sans aucune chance possible de succès. M. de Dreux-Brézé parle trop souvent ; on s’use vite ainsi, et il est difficile de ne pas commettre de fautes, lorsqu’on est chaque jour sur la brèche pour défendre un système et une opinion. Quel fut l’homme qui, sous la restauration, acquit la plus haute réputation d’éloquence et de probité politique ? Ce fut M. Royer-Collard, et l’on se souvient qu’il ne prenait la parole que dans des circonstances graves, quand il s’agissait des intérêts et des questions vitales de gouvernement.

M. le duc de Noailles a une parole plus douce, plus persuasive ; aussi est-il mieux écouté. Cette famille des Noailles a une singulière destinée : comme toutes les grandes races de la monarchie, elle s’est parfaitement divisée en nuances qui correspondent à des opinions différentes dans la société ; elle ne s’est jamais montrée difficile sur les concessions ; un de ses ancêtres, pour plaire à Louis xiv, épousa Mlle d’Aubigné, la nièce de la favorite. Depuis, tous les régimes, tous les partis ont eu un Noailles : la révolution, l’empire, la restauration, et les Tuileries de Louis-Philippe. — Suivez les trois noms de Poix, d’Ayen et de Noailles ; vous les trouverez disséminés un peu partout. Serait-ce là une tactique des grandes familles, une manière d’assurance mutuelle ? Je ne puis le dire ; mais je la trouve aussi dans les Montmorency, les La Rochefoucauld, les Mortemart, les Talleyrand, les Latour-Maubourg. M. le duc de Noailles a pris le rôle de la fidélité au malheur : ce n’est point celui qui mène à la fortune, rarement il caractérise l’homme politique ; mais dans toute situation il est honorable ; et, lorsque le talent, l’appréciation exacte des faits vient se joindre à une bonne situation de conscience, il y a là de quoi se faire écouter d’une chambre, quelque prévenue qu’elle puisse être. Aussi le duc de Noailles trouve-t-il faveur dans ses opinions même les plus extrêmes ; il y a dans ses paroles cette fleur d’aristocratie, cette manière de grand seigneur qui ont leurs charmes même pour le vulgaire. M. de Noailles a peu parlé, mais dans toutes les questions importantes, dans celle de l’hérédité de la pairie surtout, il produisit un grand effet sur la chambre des pairs : ce fut alors que le parti légitimiste se divisa en deux sections. Quelques-uns des pairs de cette opinion crurent à la nécessité de quitter la chambre. Ils voulurent réaliser une pensée qu’ils avaient depuis long-temps arrêtée, celle d’en finir avec un serment qui blessait leurs affections et leurs souvenirs ; tels furent MM. de Fitz-James, Chateaubriand, etc.. Et ce fut là une des fautes du parti légitimiste : abandonner ainsi une occasion aussi belle, un moyen d’action aussi puissant, pour en revenir à quoi ? à se porter deux ans après dans les colléges électoraux, afin d’obtenir une place de député ! On avait une tribune haute et re-