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savante, impudique, artiste, indépendante, asile des proscrits, des savans, des exilés, des penchans pervers et des arts brillans ; Venise riche et puissante, offrant toutes les libertés du vice à qui veut bien se passer des autres libertés. Vous ne voyez en lui qu’un type ignoble ? Il a dominé le xvie siècle littéraire. François Ier l’honorait. Arioste l’appelait divin. Charles-Quint causait familièrement avec lui. De niveau avec toutes les puissances, ami de Titien, correspondant de Michel-Ange, bravant les foudres papales, plus riche qu’un prince, plus insolent qu’un condottiere, plus admiré que le Tasse, plus célèbre que Galilée, qu’était donc cet homme ?

D’où lui venait sa puissance ?

De quelle force disposait-il ?

Quelle terreur et quelle tyrannie se concentraient dans ces taches d’encre calomniatrices et immondes qui dégouttaient de sa plume ?

Que résumait-il ? — Que représentait-il ? —

Il représentait la Presse. Il fut terrible comme elle. Né au moment précis où cette Force inattendue sortait des langes, se développait, grandissait, devenait redoutable, étendait son influence : il comprit le premier quel levier ce serait que l’injure de la Presse.

La calomnie, multipliée, impérissable !

La crainte lancée par cette calomnie !

Instrument, pouvoir, levier immense, qu’il devina ; instrument que son abus n’avait pas affaibli, que son excès n’avait pas usé. Arétin s’en saisit ; — il mit son siècle à ses pieds, — un grand siècle !


Ce qu’il y avait en lui de talent natif, fut étouffé par la bassesse de son but et cette perversité du sens moral qui a fait de son nom un objet de dégoût et d’opprobre éternel. N’est-ce pas là une leçon assez haute, assez digne d’être cherchée et apprise, même dans les pages moisies de ses ouvrages ? Je l’ai tenté.

Que ceux qui ne voient pas dans l’histoire littéraire une vide et froide série de dates, ou un conflit de systèmes différens, mais des révélations lumineuses sur les époques et l’histoire ; — que ceux qui m’ont encouragé dans des essais du même genre — sur l’Allemand Jean-Paul, le Vénitien Gozzi, l’Écossais Robert Burns, l’Anglais Crabbe ; — ceux qui m’ont encouragé et suivi, lorsque j’ai demandé