Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
201
L’ARÉTIN.

de trois grandes fenêtres, voisines du plafond, éclaire ce groupe dont la beauté peut vous séduire. En face, s’ouvre le grand balcon, couvert de cette soie rouge et bleue dont j’ai parlé, orné de deux orangers en fleurs et d’un feston de plantes grimpantes, qui s’élancent et retombent en élégante arcade. De là vous apercevez le Rialto ; là, souvent l’Arétin vient deviser le soir avec Titien son ami : et tous deux contemplent les gondoles effilées, les dômes des palais, les gondoliers aux bras nerveux, et les lignes fuyantes de la perspective aérienne. Avancez cependant, et ne vous arrêtez ni à causer avec les folâtres Arétines, ni à jouir de la vue du Canal-Grande ; il y a foule sur l’escalier. Vous n’arriverez jamais jusqu’à l’Arétin. Voici des Orientaux en grandes robes, des Arméniens révérencieux, un envoyé de François Ier, des peintres célèbres, de jeunes sculpteurs avides de gloire, des femmes éprises de son grand nom, des prêtres, des valets-de-chambre, des moines, des pages, des musiciens, des soudards, qui tous attendent, dans la salle où vous êtes, le moment d’être introduits. La plupart sont chargés de cadeaux ; ils apportent tous leur tribut ; qui un vase d’or ; qui un tableau de prix ; qui une bourse pleine de ducats ; d’autres une robe, un manteau, une toque, une pierrerie, une baüta, une agrafe, un collet de velours, un pourpoint : ouvrages rares, matières précieuses ; présens dignes d’être offerts à un prince, dignes de cette époque où le gentilhomme portait sur son dos, comme dit D’Aubigné, la meilleure partie de son revenu. Mais voici descendre un grand jeune homme débraillé, vêtu de noir, à l’air impertinent et indolent, qui prie ces messieurs d’attendre. C’est le secrétaire et l’élève de ce grand maître de la littérature et des arts : Lorenzo Veniero. — L’Arétin a eu plusieurs secrétaires — et beaucoup d’élèves.

Je vous laisse admirer les tapis précieux, pavés de marbre, en mosaïque, cassolettes antiques, épées au fourreau d’argent, pistolets à la crosse historiée, qui se trouvent épars dans la salle, avec une prodigalité désordonnée. Rien n’est à sa place ; tout est jeté au hasard ; rien ne s’accorde, rien ne concourt à former un ensemble harmonieux ; richesses venues de tous les coins du globe, à diverses époques, selon le caprice, le goût ou la fortune du donataire ; l’Arétin n’a rien acheté ; on lui a tout