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L’ARÉTIN.

rens ; ils incendient Rome ; ils prennent l’Italie à la course ; on les chasse à force d’astuce et de politique. « Où est-il, s’écrie Machiavel, celui qui guérira les blessures de notre contrée, qui mettra une fin aux dévastations et aux saccagemens de la Lombardie, aux pillages et aux extorsions du royaume de Naples et de la Toscane[1] ? » Qu’on lise les préfaces curieuses du Bandello, on verra comment ces malheurs publics se reflétaient dans les mœurs domestiques ; quelle était la vie intime des moines et des cardinaux, des bourgeois et des seigneurs. La débauche des prélats avait passé en proverbe ; les œuvres plus cyniques de cette époque sont ou les fruits de leurs loisirs, ou les délassemens de leurs voluptés. Les comédies les plus obscènes sont représentées sous le toit du Vatican.

Dans cette dissolution, dans cette corruption universelle, la magnificence, la splendeur, l’élégance des mœurs, ne font que s’accroître. Ce fumier de vices engraisse et développe miraculeusement tous les arts. Pendant que la France barbare excite la risée de Machiavel, qui la décrit comme un pays de soldats grossiers ; du Tasse, qui se moque de nos gentilshommes toujours à cheval et sous le harnais ; de Castiglione, qui prémunit ses compatriotes contre la rudesse et l’impolitesse des mœurs gauloises[2] ; un raffinement dont nous sommes bien éloignés encore, nous Français qui vantons notre industrie, s’établit en Italie, germe, brille, se joue à la surface d’une société pourrie jusqu’à la moelle. L’Italie s’est fractionnée en petites suzerainetés rivales, qui toutes ont leur cour princière ; toutes elles sont pauvres, mais toutes prodigues, luxueuses, amoureuses d’éclat, avides de plaisir, centres d’intrigues, ateliers de conspirations, foyers de voluptés ; elles ont toutes leurs académies, leurs théâtres, leurs savans de prédilection, leurs poètes de choix. Elles se battent de temps à autre, sous la condition de ne se faire aucun mal. En revanche, elles tuent par derrière ; elles empoisonnent leur ennemi, elles jouent bien du stylet et de la dague. Point de mœurs, point de foi ; mais on estime la poésie, on fait des sonnets, on adore les arts. Le prince manque d’argent et de troupes ; il vit sous des voûtes de marbre : sa suite étin-

  1. Il Principe.
  2. V. Il Cortigiano, l. 1.