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L’ARÉTIN.

(dit-il dans une impudente lettre), si je ne pouvais couvrir de brocard d’or ceux qui me font du bien et de bure grossière ceux qui me négligent ! » Bembo, qui obtient la barrette pour avoir commenté l’amour, s’entoure de ses maîtresses ; Anacréon est cardinal ; d’obscurs pédans ont des ville splendides. — Et Lelio Socin fuit à travers les mers. — Et Jordan Bruno, qui a deviné le système du monde, est brûlé vif. — et Galilée est en prison ; — et Tasse n’a pas de chandelles pour écrire quand le jour baisse ; — et l’Arioste s’écrie dans une de ses satires : « Mes chemises s’usent, ô Roger ! ô Angélique ! ô Sacripant ! donnez-moi des chemises ! » — Enfin Machiavel, dans sa hutte de San-Casciano, joue au petit palet avec les bouviers, les chaufourniers et les bûcherons de l’endroit ; vêtu d’un sarreau comme eux, banni de Rome, banni de Florence, encore tout meurtri de la torture, se faisant oublier, et mangeant les choux de son petit domaine.

Tels étaient les résultats de ce mouvement intellectuel si puissant. Les aventuriers de la plume obstruaient les avenues, barraient le passage à ces grandes capacités, à ces immortelles pensées, que l’avenir prend soin de venger ; et quand l’Italie ne suffisait pas à l’exploitation que les charlatans se disputaient, ils s’extravasaient sur l’Europe. Paolo-Emili écrivait l’histoire de France ; Guaguino, celle de Pologne ; Centorio, celle de Transylvanie ; Spontone, celle de Hongrie ; Possevino, celle de Russie. Un savant italien trouvait place à toutes les cours. On tirait à vue sur un roi en brochant son éloge. D’autres, se faisant les amuseurs populaires, recueillaient des histoires, des contes, des anecdotes, en traduisaient, en inventaient ; les conteurs italiens forment à eux seuls une grande bibliothèque. Ce sont eux qui ont défrayé les théâtres et les romans de l’Europe depuis deux cents ans, qui nous ont fourni nos intrigues, nos actions, même nos personnages. La moitié de Shakspeare et de Calderon (non leur génie, mais les matériaux de leur génie) se trouvent chez Bandello, Giraldi Cintio et le Lasca. Naguères encore, les Parisiens modernes ne savaient pas, en assistant à la représentation d’un drame en prose[1] que c’était une nouvelle du Lasca, dramatisée au xvie siècle par un Anglais, retravaillée au xixe,

  1. Clotilde.