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à Fernande sans une parole, sans un regard d’encouragement. Il la remercie de résister, mais il est sûr d’avance de l’issue du combat. Il sait que son honneur aux yeux du monde comptera parmi les dépouilles du vaincu.

La désertion de Fernande donne à l’amour d’Octave une animosité nouvelle. Il est redouté, il triomphera. Il poursuit la fugitive, il organise un plan d’attaque, il déploie autour d’elle un réseau invisible qui doit couper sa retraite et qu’elle ne pourra franchir. Toléré, son amour se serait peut-être attiédi. Repoussé violemment, il est monté jusqu’à la colère. Le plus innocent et le plus candide des hommes provoqué dans ses derniers retranchemens se conduira avec la science consommée de Lovelace. Il prendra tout à Fernande hormis elle-même. Il éveillera les soupçons de la famille où elle s’est retirée, il livrera son nom aux railleries de toute une ville, il rendra le retour impossible comme s’il avait raison, et pourtant il respectera la chasteté expirante de sa maîtresse.

Jacques apprend ce qui se passe par un ami, et ses informations vont plus loin que la réalité. Mais il cache à tous la sinistre nouvelle. Il revoit Fernande comme si elle n’avait jamais cessé de l’aimer. Il la baise au front comme une fille pure et bénie. Il ne permet pas à son visage de se plisser sous la douleur. Il est sûr que sa perte est consommée, la défense est désormais inutile. Fernande s’est détachée de lui ; Il était trop vieux pour la comprendre et la garder. Dieu punit, en la lui ravissant, la témérité de ses espérances. Il a trop compté sur la loyauté de son amour, il n’a pas surveillé assez religieusement l’ange qu’il avait reçu dans sa maison. L’ange a repris son vol : est-ce l’heure de la colère ou du repentir ?


La prophétie de Jacques s’est accomplie. Mais le malheur a gagné de vitesse la prévoyance du sage. Depuis long-temps le navire était démâté ; les voiles déchirées pendaient par lambeaux. Le pilote pressentait le naufrage, mais il espérait encore quelques heures de répit.

Ira-t-il jouer sa vie contre celle d’Octave ? Ce serait là le rôle naturel et prévu d’un amour égoïste. Mais si le sort le favorisait, s’il tuait l’amant de sa femme, Fernande lui serait-elle rendue ? Tue-