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cria-t-il. Il se fit apporter sa jambe coupée et se mit à jouer avec elle et à se moquer de nous ; mais deux heures après, les douleurs reparurent. Comme je l’entendais se démener dans sa chambre, je me rhabillai, car j’étais couché, et j’accourus. Il se moqua encore de moi :

« — Ce qui me fait le plus souffrir, me dit-il, c’est de voir un poltron. »

« Au lever du jour, le mal avait empiré. Il fit son testament, distribua beaucoup de cadeaux à ses amis, et voyant le confesseur arriver : Mon père, dit-il, mon métier est celui des armes ; j’ai vécu comme un soldat. J’aurais vécu comme un moine si j’avais porté votre habit. Il ne m’est pas permis de me confesser en face de tout le monde ; mais si cela était possible, je n’hésiterais pas… »

« Bientôt après, la mort qui l’appelait sous la terre annonça son approche. Parens et domestiques viennent sans ordre et en foule assiéger son lit. Une froide tristesse régnait sur les visages, et tous pleuraient le pain, l’espérance et la vie heureuse qu’ils allaient perdre en perdant leur patron. Il essaya cependant de parler de la guerre, des mouvemens des troupes et des résultats de la campagne : chose étonnante pour un homme à moitié mort. Comme il souffrait beaucoup, il me pria de lui faire une lecture pour l’endormir. Il ferma les yeux, et se débattit beaucoup dans ses songes. — Ah ! s’écria-t-il, après avoir dormi un quart d’heure, le sommeil m’a fait du bien ! Si je me rétablis, ces maudits Allemands apprendront comment on se bat et comment je me venge !… Mais soulevez-moi, je ne veux pas mourir au milieu de ces emplâtres. »

« On l’habilla, on lui dressa un lit-de-camp, il se rendormit un instant et mourut.

« Tels furent les derniers momens de Jean de Médicis ; homme d’une vigueur d’âme incroyable, dont la libéralité dépassa la richesse, et dont toutes les paroles étaient des actions. Mal vêtu, il vivait comme un soldat ; et ce qui lui attirait surtout le cœur des siens, c’est qu’il disait toujours : Je marche devant vous ; et jamais : Marchez devant moi. Il avait pour but la renommée, non le gain : le premier à monter à cheval, le dernier à en descendre ; vendant ses propriétés pour payer ses troupes ; admirablement propre à gouverner des soldats par l’amour et la terreur, par la récompense