Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/245

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
241
REVUE. — CHRONIQUE.

tout matériel, tandis que, pour sentir tout ce qu’il y a de jouissance exquise au fond d’une cavatine chantée par Rubini, il faut une étude profonde, je dirai même une sorte d’initiation.

Il serait difficile de dire à quelle école appartient la musique de la Straniera. C’est surtout dans cet ouvrage que Bellini semble avoir essayé de rompre avec le rhythme et toutes les formules rossiniennes dont on a tant abusé de nos jours. C’est là, certes, un effort louable. Mais l’homme de talent devait tôt ou tard se prendre au piège que le génie a seul le secret d’éviter. Pour ne pas ressembler à Rossini, le jeune maître est tombé dans l’imitation des Allemands. Ainsi que Meyerbeer, Bellini me paraît avoir tenté la fusion des deux écoles. Ce qui frappe surtout dans Robert-le-Diable, c’est la science de l’instrumentation, tandis que dans la Straniera, si quelque chose prédomine, c’est le pur chant italien. Bellini n’a donc pas dépouillé complètement sa nature. Comme il ne s’est pas senti la force de créer, il a voulu déguiser au moins ses imitations, de telle sorte qu’il a fini par dérober au Nord tout ce qu’il lui fallait pour envelopper ce qu’il avait pris au Midi ; agissant ainsi comme les éclectiques qui s’en vont emprunter aux étrangers un manteau pour revêtir l’idée de leur voisin. Il n’est rien au théâtre de plus ennuyeux que le premier acte de la Straniera. À tout prendre, je préfère encore la phrase arrondie et quelque peu banale de Rossini, à cette mélodie écourtée et prétentieuse, à ces motifs qui tous avortent en naissant. Le duo entre Mlle Amigo et Tamburini, et que Tamburini chante seul, outre qu’il est écrit avec soin, a le très grand mérite de se terminer par une de ces phrases que l’admirable chanteur affectionne, parce qu’il les compose lui-même et leur donne avec sa voix toute leur expression. Le chœur qui précède la cavatine de Rubini serait assez heureusement inventé, si le finale d’Otello n’existait pas. Cependant il faut louer dans cet opéra médiocre une phrase dont le début est admirable, et que chante Alaïde sur le corps de son amant. L’expression en est belle et douloureuse, le mouvement naturel et vrai. Malheureusement Bellini, comme Gluck ou Beethoven, n’a pas en lui ce foyer divin qui prolonge l’inspiration et l’alimente ; le souffle lui a bientôt manqué, il n’a pas eu la force d’être original au-delà de six mesures, et cette phrase, commencée avec grandeur, se termine par une conclusion banale et familière aux imitateurs de l’école italienne. Le second acte de la Straniera appartient tout entier à Rubini. Dès que le rideau est tombé sur les dernières mesures du finale, il n’est plus question du maestro ni de sa musique. Rubini remplit tout le second acte de la Straniera avec la cavatine de Niobé, de Pacini. Avec quelle impatience on attend cette cavatine, avec quels transports d’enthousiasme on l’applaudit ! C’est qu’en effet la voix