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JACQUES.

épisodes gracieux dont le récit est entremêlé. Je n’ai tracé que les grandes lignes, pour mieux saisir et mieux expliquer l’idée générale qui a présidé à toute la conception.

Cette idée, c’est le pardon, c’est la déception réhabilitée par la grandeur généreuse et dévouée, c’est l’abandon et l’infidélité offrant à une belle ame l’occasion d’une lutte sublime et d’un renoncement surhumain.

Si jamais donnée fut hardie, c’est à coup sûr celle de Jacques ; si jamais donnée fut menée à bonne fin, c’est à coup sûr celle de ce livre. Comme un fruit mûr et savoureux, la pensée première a livré tout ce qu’elle contenait. Le dessin était beau. L’édifice n’a pas trompé l’ambition de l’architecte.

Le style de Jacques obéit à la pensée, et ne la gouverne jamais. Il est, comme celui d’Indiana, de Valentine et de Lélia, abondant, pittoresque, ingénieux en ressources, habile à tout dire, simple et hardi, et pourtant plein de coquetteries mélodieuses. Mais il y a progrès évident du côté de la précision et de la pureté.

Quoique rien à coup sûr ne soit plus spontané que les œuvres de George Sand ; quoique, selon toute apparence, il ne prenne pas grand souci des questions littéraires qui s’agitent autour de ses livres, il ne tiendrait qu’à nous de voir dans le style de Jacques une protestation énergique contre le style popularisé par un patronage illustre, qui pare et drape la pensée au lieu de la vêtir en se modelant sur elle.

Envisagé sous ce point de vue, qui n’a rien d’invraisemblable, le style de Jacques n’a pas moins de valeur et de nouveauté que l’invention du livre lui-même. On y entrevoit toujours l’idée sous l’image ; ailleurs et trop souvent l’image envahit l’idée, la dissimule au point de la faire oublier, et parfois même se complaît dans une ostentation égoïste.

Le style de Jacques est, comme le livre, éminemment humain. C’est une lampe d’albâtre qui laisse entrevoir la lumière intérieure : le style populaire aujourd’hui, incrusté de pierreries étincelantes, réfléchit les rayons qui lui viennent du dehors ; c’est un vase précieux, mais opaque, et qui ne laisserait pas deviner la flamme, s’il la contenait.

Gustave Planche.