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L’ARÉTIN.

Dieu. Il siège sur un trône qui commande à la ville et au monde. Il fulmine, il est vieux, il est magnifique, il est adoré. De l’encens, des fleurs, de la musique, des statues, des coupoles, des vases, des fontaines, des tableaux à ce peuple ; il oubliera Dieu, les notions du bien et du mal, et l’asservissement, et la peste, et les désastres, et les opprobres de l’étranger, et la misère !

Phénomène que la Grèce n’avait pas offert aussi complet, aussi magnifique, aussi nu, aussi fatal. Jamais il n’aurait pu se développer dans le Nord. L’homme septentrional ne naît point assez heureux pour avoir tant de vices et tant de jouissances impunément. La moralité lui est imposée avec le travail et la patience. S’il n’est dur à lui-même, que deviendra-t-il ?

Cet homme du Nord ne parvient aux jouissances des arts que par une voie détournée ; il les force de s’épanouir par une culture artificielle ; il les élève en serre chaude. Leur croissance n’est pas spontanée, indigène, exubérante. Alors même qu’une civilisation très active les sollicite, les arts du Nord gardent toujours le caractère de leur origine. En Angleterre, c’est la vie privée, l’esprit de famille, le génie biblique ; en Allemagne, la piété tendre, le mysticisme, qui font éclore les arts. À Dieu ne plaise que je rabaisse Wilkie ou Reynolds, Holbein ou Albert Durer : grands hommes assurément ! Mais où trouvez-vous ceux chez lesquels s’est incarné, pour ainsi dire, le culte de la beauté visible ? ceux qui n’ont pas d’autre idée, d’autre vie, d’autre espoir, d’autre avenir que de tailler le marbre ou de colorer la toile ? ceux qui, pour quelques scudi, se suspendent aux voûtes, s’attachent aux grandes coupoles, et peignent ; aimant l’art pour lui-même et en lui-même, si profondément ensevelis dans l’idolâtrie de la forme, qu’ils damneraient leur âme pour atteindre à sa perfection ; nommant vertu (virtù), vertu par excellence, le talent qui la reproduit ; étrangers aux distinctions de l’honnête ou du malhonnête ; sauvages en tout le reste, sublimes en un seul point ? Dans l’Italie du xvie siècle. Alors tout se rapporte aux sens et aux arts qui les flattent. La femme, en dépit des diseurs platoniciens, n’est qu’une belle statue vivante ; le jeune garçon, c’est presque une femme : ne parlez pas morale à ces gens, qui n’ont de morale que le beau physique, et qui, le comprenant avec une délicatesse exquise, ne comprennent que lui.