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tale et mystique, qui l’avait encouragé à ne faire que des œuvres pieuses, il écrit de la même plume :

« Je confesse (dit mon impudent) que je suis moins utile au monde et moins agréable à Jésus, en dépensant mes veilles à des bagatelles menteuses, au lieu de les donner à des œuvres de vérité. Mais quelle en est la cause ? La sensualité d’autrui, et ma pauvreté. Si les princes étaient aussi dévots que je suis besoigneux, ma plume ne tracerait que des Miserere. Excellente dame, tout le monde ne possède pas l’inspiration de la grâce divine. Le feu de la concupiscence brûle la plupart ; et vous, vous ne brûlez que de la flamme angélique. Pour vous, les offices et prédications sont ce que sont pour nous les musiques et les comédies. Vous ne détourneriez pas les yeux pour regarder Hercule dans les flammes, ni Marsyas écorché ; nous ne regarderions pas davantage saint Laurent sur le gril, ou l’apôtre que l’on dépouille de sa peau.

« Voyez un peu ! j’ai un ami nommé Bruciolo, qui a dédié sa Bible au roi très chrétien. Depuis cinq ans il n’a pas reçu de réponse. Moi, ma comédie de la Courtisane a arraché à ce même roi une grande chaîne d’or. Aussi, ma Courtisane serait-elle bien tentée de se moquer du Vieux Testament, si cela était honnête.

« Accordez-moi donc mon excuse pour les balivernes que j’ai écrites, non par malice, mais pour vivre. Que Jésus vous inspire de me faire compter par messer Sebastien de Pesaro le reste de la somme sur laquelle j’ai reçu trente écus, et dont je vous suis d’avance débiteur. »

Venise, 9 juin 1539.

Sublime mendiant !


Ne vous étonnez donc pas qu’avec un talent si consommé et si hardi, notre Arétin, dès sa troisième année à Venise, soit maître d’un palais, chargé de pensions, bien logé, bien repu, bien couvert, entouré de parasites et de maîtresses, et menant d’un cours rapide la gloire, la fortune et les amours. Parlons un peu de ces derniers, important chapitre de sa vie, bien plus important que son mérite littéraire, auquel il tenait fort peu, auquel il donnait à peine deux heures par jour, et sur lequel nous reviendrons.