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Barbaresques, toutes ces nations, toutes ces familles musulmanes se distinguent par la forme ou la nuance de leurs vêtemens, par une manière particulière de porter le turban, d’attacher un fichu autour de la tête. La population musulmane de Gaza se partage en deux sectes, celle de Chaffein, celle d’Anaphi ; toutes deux ont leur muphti ; les croyans de la secte de Chaffein sont les plus nombreux. La ville présente la réunion de cinq quartiers, ou plutôt de cinq villages bien distincts, dont voici les noms : 1o Razze-aret-Zetoun ; 2o Aret-Sejaié ; 3o Aret-Fellaïn ; 4o Aret-teuphen ; 5o Aret-il-Darazi. Presque toutes les maisons de Gaza ont un jardin entouré de nopals comme d’un mur verdoyant. J’ai rencontré beaucoup de tombes musulmanes aussi belles que les plus belles tombes de Scutari ; on m’a fait remarquer aussi quelques palais appartenant à des visirs en retraite, qui font là une courte halte avant de descendre dans le repos de l’éternité.

Les curiosités que j’ai le plus remarquées à Gaza, ce sont deux vieillards, âgés, l’un de cent vingt ans, l’autre de cent treize ans ; le premier s’appelle Ibrahim-odé (Ibrahim le ressuscité), ainsi surnommé pour avoir échappé au tombeau dans une maladie jugée mortelle ; le second s’appelle Isséïm-Moukrak. Ayant témoigné le désir de converser avec les deux vieillards, j’ai obtenu d’eux un rendez-vous au pied d’un sycomore dans un jardin ; assis tous les trois sur une natte, entourés de mon trucheman, de mon cavaz Ibrahim, des gardes du mutselim, nous avons causé depuis quatre heures après midi jusqu’au coucher du soleil. Je n’avais jamais vu des hommes d’un si grand âge, et je les contemplais avec un religieux respect ; j’étais plus frappé que je ne l’ai jamais été en présence des plus belles ruines des temps antiques : c’est que ces monumens-là étaient de marbre ou de pierre, débris sur lesquels avaient passé les siècles, mais débris sans ame et sans intelligence, qui ne profèrent que les paroles que nous leur prêtons, qui empruntent leur vie de nos souvenirs. Mais ces deux vieillards, monumens vivans dans un âge éteint, antiquités humaines si vénérables et si saintes, parlaient bien autrement à mon esprit ; ceux qui arrivent à une longue vieillesse, me disais-je, après avoir tant vu, tant écouté, tant souffert, ont appris peut-être des secrets que trop souvent ils emportent au sépulcre, et qui épargneraient à