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Leibnitz, les transactions respectives de cette philosophie et de la religion, et leurs dissonances. D’un autre côté, nous ne perdrons jamais de vue celles des questions de la philosophie auxquelles nous attribuons une importance sociale, et à la solution desquelles elle concourt de concert avec la religion.

C’est de la nature de Dieu qu’il s’agit d’abord. Dieu est le commencement et la fin de toute sagesse, disent les croyans dans leur humilité, et le philosophe, dans tout l’orgueil de sa science, est obligé de se rallier à cette pieuse sentence.

Ce n’est point Bacon, ainsi qu’on l’enseigne ordinairement, mais René Descartes qui est le père de la philosophie moderne, et nous allons démontrer fort clairement quel est le degré de filiation de la philosophie allemande par rapport à lui.

René Descartes est un Français, et c’est encore à la grande France qu’appartient ici la gloire de l’initiative ; mais la grande France, la terre bruyante, agitée et babillarde des Français, n’a jamais été un sol propice à la philosophie, et celle-ci n’y réussira peut-être jamais. C’est bien ce que sentit René Descartes, et il s’en fut dans les Pays-Bas, dans le pays calme et taciturne des Trekschuites et des Hollandais. C’est là qu’il écrivit ses ouvrages ; c’est là seulement qu’il put affranchir son esprit du formalisme traditionnel, et élever tout un édifice philosophique de pures pensées qui ne sont empruntées ni à la foi ni à l’empirisme, condition qu’on a exigée depuis de toute philosophie véritable. C’est là seulement qu’il put s’enfoncer si profondément dans les abîmes de la pensée, qu’il la saisit dans les derniers replis de la conscience de soi, et qu’il put en même temps constater la conscience de soi par la pensée dans la célèbre proposition : Cogito, ergo sum.

Peut-être aussi Descartes ne pouvait-il nulle part ailleurs qu’en Hollande risquer d’enseigner une philosophie qui rompait en visière à toutes les traditions du passé. C’est à lui qu’appartient l’honneur d’avoir fondé l’autonomie de la philosophie, qui n’eut plus besoin dès-lors de demander à la théologie la permission de penser, et put désormais se placer à côté d’elle comme science indépendante ; je ne dis point s’opposer à elle, car dans ces temps régnait le principe : « Les vérités auxquelles nous arrivons par la philosophie sont en dernier lieu les mêmes que nous révèle la religion. » Les