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nos plus grands penseurs, de nos meilleurs artistes, et le déisme, comme je le raconterai plus tard, y est détruit en théorie. On ne le dit pas, mais chacun le sait : le panthéisme est le secret public de l’Allemagne. Dans le fait, nous sommes trop grandis pour le déisme. Nous sommes libres, et ne voulons point de despote tonnant ; nous sommes majeurs, et n’avons plus besoin de soins paternels ; nous ne sommes pas non plus les œuvres d’un grand mécanicien : le déisme est une religion bonne pour des esclaves, pour des enfans, pour des Genevois, pour des horlogers !

Le panthéisme est la religion cachée de l’Allemagne, et c’est ce résultat qu’avaient prévu les écrivains allemands qui se déchaînèrent, il y a plus de cinquante ans, contre Spinosa. Le plus furieux de ces adversaires de Spinosa fut F. H. Jacobi, à qui l’on fait quelquefois l’honneur de le nommer parmi les philosophes allemands. Ce n’était qu’une vieille commère qui se cacha sous le manteau de la philosophie, se glissa parmi les philosophes, bavarda d’abord beaucoup sur son amour et sa sensibilité, et finit par injurier la raison. Son éternel refrain était que la philosophie, la connaissance par la raison, n’est qu’illusion pure ; que la raison même ne sait pas où elle conduit ; qu’elle entraîne l’homme dans un sombre labyrinthe d’erreurs et de contradictions, et que la foi seule peut le guider sûrement. Taupe, qui ne voyait pas que la raison, semblable au soleil, en s’avançant, éclaire sa route avec ses propres rayons ! Rien ne ressemble à la pieuse rancune du bon Jacobi contre Spinosa, le grand athée.

C’est une chose curieuse de voir comme les partis les plus divergens ont toujours combattu contre Spinosa. L’aspect de cette armée est fort amusant. Près d’un essaim de capuchons noirs et blancs portant croix et encensoirs, marchait la phalange des encyclopédistes qui tirait aussi sur ce penseur téméraire. À côté du rabbin de la synagogue d’Amsterdam, qui sonne l’attaque avec le sacré cornet à bouquin, s’avance Arouet de Voltaire, avec la petite flûte du persiflage, qui fait sa partie obligée au profit du déisme. Au milieu glapit la vieille femme Jacobi, vivandière de cette armée de la foi.

Échappons vite à ce charivari. De retour de notre excursion pan-