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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

le chef à Whitehall par la hache de Cromwell, l’autre ne perdit à Wœrlitz que l’esprit par la théosophie de Jacob Bœhm.

Je l’ai déjà dit ; ce fut Christian Wolf qui appliqua le premier avec succès la langue allemande à la philosophie. Son moindre mérite fut la réduction en système et la popularisation des idées de Leibnitz. Il a encouru un grand blâme sous ce double rapport, et nous ne devons pas le taire. Son système ne fut qu’apparence vaine, et il sacrifia à cette apparence le plus important de la philosophie de Leibnitz, la meilleure partie de la doctrine des monades. Il est vrai que Leibnitz n’avait point laissé d’édifice systématique, mais seulement les idées nécessaires. Il fallait un géant pour assembler ces blocs et ces colonnes colossales qu’un géant avait enlevés aux profondes carrières de la pensée et harmonieusement taillés. Il en serait résulté un temple magnifique ; mais Christian Wolf était de trop courte stature, et ne put s’approprier qu’une partie des matériaux, qu’il rapetissa pour en faire un tabernacle au déisme. La tête de Wolf était plus encyclopédique que systématique : il ne comprit l’unité d’une doctrine que sous la forme du complet. Il jugea suffisant d’avoir construit un casier où les tablettes étaient convenablement remplies et garnies d’étiquettes bien lisibles. C’est dans cet esprit qu’il nous donna une encyclopédie des sciences. Comme descendant de Descartes par Leibnitz, on conçoit que pour la démonstration mathématique il ait hérité de son aïeul. J’ai déjà blâmé cette forme dans Spinosa. Elle fit grand mal entre les mains de Wolf ; chez ses élèves, elle dégénéra en un schématisme insupportable et en une ridicule manie de tout prouver avec une évidence mathématique. Ainsi s’éleva ce qu’on appela le dogmatisme de Wolf. Toute investigation profonde cessa, et une ennuyeuse ferveur de clarté prit sa place ; la philosophie de Wolf devint toute limpide ou plutôt aqueuse, et finit par inonder toute l’Allemagne. Les traces de ce déluge sont encore visibles aujourd’hui, et l’on retrouve çà et là sur les gisemens les plus élevés de nos académies quelques vieux fossiles de l’école de Wolf.


Christian Wolf naquit en 1679 à Breslaw, et mourut à Halle en 1754. Son empire intellectuel dura plus d’un demi-siècle en Allemagne. Nous devons donner une attention particulière à ses rap-