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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

pour une pareille besogne. Les vieilles ruines encore debout opposaient trop de résistance, et les spectres en sortaient et se moquaient de lui ; alors il devenait furieux et se précipitait au milieu d’eux tête baissée, et les spectateurs riaient quand les chauves-souris lui sifflaient autour des oreilles et s’embarrassaient dans sa vieille perruque. Il lui arriva bien aussi quelquefois de combattre des moulins à vent qu’il prenait pour des géans ; mais il se trouva encore plus mal de prendre des géans véritables pour de simples moulins à vent, un Wolfgang Goethe, par exemple. Il écrivit contre son Werther une satire dans laquelle il méconnut de la manière la plus lourde les intentions de l’auteur. Pourtant il avait raison quant au fond : quoiqu’il ne comprît pas au juste ce que Goethe voulait dire avec son Werther, il en pressentit cependant bien l’effet, l’amollissante rêverie et la stérile sentimentalité, qui surgirent par ce roman maladif, et se mettaient en contradiction hostile avec les sentimens sains et raisonnables dont nous avions besoin. En cela, Nicolaï fut tout-à-fait d’accord avec Lessing, qui écrivait à un de ses amis le jugement suivant sur Werther :

« Pour qu’une production aussi chaleureuse ne fasse pas plus de mal que de bien, ne pensez-vous pas qu’il lui faudrait encore un petit épilogue très refroidissant ; quelques indications sur les causes qui ont amené Werther à un caractère aussi bizarre ; le contraste d’un autre jeune homme auquel la nature avait donné les mêmes dispositions, et qui a su s’en garantir ? Croyez-vous donc qu’un jeune homme, romain ou grec, se fût ainsi tué, et pour la même cause ? Certainement non. Ceux-là savaient se garder tout autrement des extravagances de l’amour, et au temps de Socrate, une semblable… qui pousse… eût à peine… été pardonnée à une fillette. Enfanter de ces originaux chétivement grands, méprisablement précieux, n’était réservé qu’au christianisme, qui voudrait transformer un besoin du corps en perfection spirituelle. Ainsi, cher Goethe, encore un petit chapitre pour finir, et le plus cynique sera le meilleur. »

Le brave Nicolaï nous a réellement fait cadeau d’une édition de Werther, corrigée d’après cette donnée. Dans cette nouvelle version, le héros ne s’est pas tué, mais seulement souillé de sang de poulet, car le pistolet, au lieu d’être chargé avec du plomb, ne l’é-