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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

Plus tard, quand ils seront flétris ou brisés par la déception, il sera temps d’épier le danger ; aujourd’hui c’est l’heure de l’épanouissement et de la passion, l’heure de l’entraînement et de l’imprévoyance. — Une fornarine amoureuse d’un grand seigneur est l’égale de son amant, si elle est aimée ; qui dira non ? les libretti de M. Scribe ou de M. Planard. — Margarita sera donc familière et libre dans ses épanchemens, comme si le nom et la richesse de Byron n’avaient jamais existé. Maîtresse de son cœur et de sa pensée, pourquoi s’inclinerait-elle devant la gloire et la naissance ?

Rien de tout cela dans le rôle de M. Ancelot. — C’est une création de l’actrice, pleine de grâce et de fraîcheur, et que madame Dorval a su rendre avec une grande habileté. Elle a très bien évité la gaucherie villageoise, si triviale au théâtre ; elle a mis dans son amour une vaillantise hardie et simple. Elle a été gaie sans être frivole ; elle n’a pas franchi les limites de la vérité : toutes les joies de l’amour sont sérieuses.

Le second acte était plus difficile. Une fois le caractère de Margarita présenté comme nous venons de le voir, le désappointement et la jalousie avaient besoin d’être préparés autrement que dans le rôle primitif. L’amoureuse Vénitienne ne pouvait pas dire à lady Byron ou à la comtesse Oroboni, comme la véritable fornarine : Si vous voulez le garder pour vous seule, cousez-le donc à votre jupon ; mais, dans sa manière d’aimer et de le dire, on devait pressentir l’orage qui grondait sur sa tête. Dans la mélancolie joyeuse de ses regards, dans le timbre tremblant de sa voix, dans le frémissement de ses caresses, on devait deviner les droits qu’elle prétendait en échange de son abandon. Aveugle et puérile comme les Nicette de Favart, elle aurait pleuré la trahison, mais n’aurait jamais songé à la vengeance. Pour légitimer sa colère à l’heure où elle sera trompée, il faut qu’elle aime sérieusement, qu’elle fasse de l’amour un devoir, et non pas un plaisir.

Si les honneurs et l’admiration dont Byron est comblé, si l’empressement de l’aristocratie vénitienne autour de sa renommée, dessinaient sur la figure de Margarita une fierté enfantine ; si elle préférait le grand seigneur à l’homme, le poète à l’amant ; si elle avait besoin, pour s’applaudir de son choix, de comparer son triomphe à la défaite de ses rivales, il y aurait dans sa jalousie une tache inef-