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pour sa part, l’illustre écrivain qui s’intitule George Sand pour la sienne, ont été instrumens et organes de ce changement survenu, non pas dans les mœurs, mais dans l’expression des mœurs. En province surtout où les existences de quelques femmes sont plus souffrantes, plus étouffées et étiolées que dans le monde parisien, où le désaccord au sein du mariage est plus comprimant et moins aisé à éluder, M. de Balzac a trouvé de vifs et tendres enthousiasmes ; le nombre y est grand des femmes de vingt-huit à trente-cinq ans, à qui il a dit leur secret, qui font profession d’aimer Balzac, qui dissertent de son génie et s’essaient, la plume à la main, à broder et à varier à leur tour le thème inépuisable de ces charmantes nouvelles, La femme de trente ans, La femme malheureuse, La femme abandonnée ; c’est là un public à lui, délicieux public malgré ses légers ridicules, et que tout le monde lui envierait assurément. Crébillon fils en son temps eut aussi une telle prise sur l’imagination de certaines femmes, qu’une jeune dame anglaise, dit-on, s’affolant de lui après une lecture de je ne sais quel roman, accourut tout exprès pour l’épouser. Faut-il qu’on puisse raconter de Crébillon fils la même flatteuse aventure qu’on raconte, bien que par erreur, du plus chaste et du plus divin de nos poètes ! Quant à M. de Balzac, il lui arriverait immanquablement quelque bonheur pareil, si les femmes qu’il émeut n’étaient mariées déjà, malheureuses et désabusées dans le mariage. Une des raisons qui expliquent encore la vogue rapide de M. de Balzac par toute la France, c’est son habileté dans le choix successif des lieux où il établit la scène de ses récits. On montre au voyageur, dans une des rues de Saumur, la maison d’Eugénie Grandet ; à Douai probablement, on désigne déjà la maison Claës. De quel doux orgueil a dû sourire, tout indolent Tourangeau qu’il est, le possesseur de la Grenadière ? cette flatterie adressée à chaque ville où l’auteur pose ses personnages, lui en vaut la conquête ; l’espérance qu’ont les villes encore obscures d’être bientôt décrites dans quelque roman nouveau prédispose pour lui tous les cœurs littéraires de l’endroit : Il n’est pas fier au moins, celui-là ! il n’est pas exclusivement Parisien et de sa Chaussée d’Antin ! il ne dédaigne pas nos rues et nos métairies ! De la sorte, en trois années au plus, le vaste drapeau inscrit au nom de M. de Balzac s’est