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compatriote bien appris de Rabelais ou du moins de Béroalde de Verville. L’auteur y rajeunit à la moderne un sujet usé ; il n’échappe pourtant pas toujours à des plaisanteries devenues vulgaires. La morale scrupuleuse en est exclue, dès le titre, et il n’en faut pas parler. Certains côtés délicats et sensibles auraient pu être touchés avec art ; mais l’écrivain, pur épicurien, n’y est pas arrivé encore. Ainsi, plus tard dans le conte du Rendez-vous, M. de Balzac nous peindra Julie d’Aiglemont au retour de cette soirée brillante où elle a reconquis à force de coquetterie et de triomphe la fantaisie passagère de son mari ; il nous la peindra cédant une dernière fois par bonté et par calcul à l’égoïste faveur dont M. d’Aiglemont l’honore ; puis tout aussitôt, dès qu’elle se retrouve à elle, nous la voyons sombre, sur son séant, dans le lit conjugal, près du mari endormi, rougissant et pleurant comme d’un crime de cette espèce de profanation calculée à laquelle elle s’est soumise : il y a là une page admirable de vérité et de douleur. Au lieu de ces peintures vivantes, nous avons dans la Physiologie du mariage la théorie du lit, des deux lits jumeaux ou des chambres séparées, tout un étalage que rien n’ennoblit et ne rachète. La Peau de Chagrin, publiée en 1831, ouvre la nouvelle et la véritable série des romans de M. de Balzac. Le commencement en est vif, naturel, attachant ; mais l’intérêt se perd bientôt dans le fantasque et l’orgiaque. L’auteur s’est évidemment préoccupé d’Hoffmann qui faisait alors son apparition parmi nous. Le caractère de Fédora, de cette Femme sans cœur, indique pourtant le peintre déjà initié à demi. C’est dans ses Contes de la vie privée qu’il devait tout entier se produire.

M. de Balzac a un sentiment de la vie privée très profond, très fin, et qui va souvent jusqu’à la minutie du détail et à la superstition ; il sait vous émouvoir et vous faire palpiter dès l’abord, rien qu’à vous décrire une allée, une salle à manger, un ameublement. Il a une multitude de remarques rapides sur les vieilles filles, les vieilles femmes, les filles disgraciées et contrefaites, les jeunes femmes étiolées et malades, les amantes sacrifiées et dévouées, les célibataires, les avares : on se demande où il a pu, avec son train d’imagination pétulante, discerner, amasser tout cela. Il est vrai que M. de Balzac ne procède pas à coup sûr, et que dans ses productions nombreuses, dont quelques-unes nous semblent pres-