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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

ne néglige pas ces soins, et bien au contraire s’en préoccupe beaucoup. M. de Balzac n’a pas le dessin de la phrase pur, simple, net et définitif ; il revient sur ses contours, il surcharge ; il a un vocabulaire incohérent, exubérant, où les mots bouillonnent et sortent comme au hasard, une phraséologie physiologique, des termes de science, et toutes les chances de bigarrures. Je lis, dès la première page d’Eugénie Grandet, cette phrase : « S’il y a de la poésie dans l’atmosphère de Paris où tourbillonne un simoun qui enlève les cœurs, n’y en a-t-il donc pas aussi dans la lente action du sirocco de l’atmosphère provinciale, qui détend les plus fiers courages, relâche les fibres et désarme les passions de leur acutesse. » Ailleurs, dans Louis Lambert, non loin des brûlantes et simples lettres du jeune homme, ce sont des expressions de mnémotechnie pécuniaire, un enfant dont je partageais l’idiosyncrasie ; dans les Célibataires je trouve une raison coëfficiente des évènemens, des phrases jetées en avant par les tuyaux capillaires du grand conciliabule femelle, etc., etc. Souvent la phraséologie flexible où il se joue, entraîne M. de Balzac, et il nous file de ces longues phrases sans virgules à perdre haleine, comme on peut en reprocher parfois à la plume savamment amusée de Charles Nodier. La phrase suivante fait tache à mes yeux dans la première lettre de Louis Lambert à Mlle de Villenoix : « J’ai dû comprimer bien des pensées pour vous aimer malgré votre fortune, et pour vous écrire en redoutant ce mépris si souvent exprimé par une femme pour un amour dont elle écoute l’aveu comme une flatterie de plus parmi toutes celles qu’elle reçoit ou qu’elle pense. » M. de Balzac a fréquemment, et à son insu peut-être, l’image lascive, le coup de pinceau vagabond et sensuel. Il comparera tout d’abord la voix du chaste enfant Louis Lambert à une voix qui prononce un mot d’amour, au matin, dans un lit voluptueux ; il abusera, en peignant Mme Claës, des projections fluides dans les regards. Enfin, il y a une faute insoutenable qu’il pratique constamment et par système : au rebours des écrivains d’aujourd’hui qui ont mis le son, sa, ses partout, qui disent à propos d’un fait et d’une observation lui et elle, M. de Balzac ne connaît que le en : ainsi, dans les Célibataires, toutes les fois que l’abbé Birotteau était entré chez le chanoine Chapeloud, il en avait admiré l’appartement et les meubles. Dans la