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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

froisse la page sous sa main, mais on y revient ; on est ému enfin, entraîné, on se penche malgré soi vers ce gouffre inassouvi. Quel mélange singulier et contradictoire dans le romancier que nous voudrions juger ici, sans faire notre parole plus sévère que notre pensée, — quel mélange d’observation souvent maligne, de réalité prise sur le fait comme par un clin d’œil de malin Tourangeau, de gaieté de bon aloi et digne de Chinon, — quel mélange de tout cela et encore de situations domestiques si fréquemment attendrissantes avec tant d’écarts divagans et d’incroyables fantaisies ! Mme Claës est une de ces femmes comme le romancier les affectionne, une laide presque contrefaite et pourtant séduisante, une femme de quarante ans de plus en plus adorable et rajeunissant. Combien de lectrices, en lisant ce portrait, se sentent tout bas flattées et comme magnétisées par l’auteur ! Cette figure de Mme Claës, où les hésitations magnétiques et les projections fluides des regards sont prodiguées, de même que le sont dans le portrait de Balthazar les idées dévorantes distillées par un front chauve, m’a bien fait concevoir le genre de portraits de Vanloo et des autres peintres chez qui des détails charmans et pleins de finesse s’allient à une flamboyante et détestable manière, à une manière sans précision, sans fermeté, sans chasteté. « Les personnes contrefaites qui ont de l’esprit ou une belle âme, dit M. de Balzac à propos de son héroïne peu régulière, apportent à leur toilette un goût exquis. Ou elles se mettent simplement, en comprenant que leur charme est tout moral ; ou elles savent faire oublier la disgrâce de leurs proportions par une sorte d’élégance dans les détails qui divertit le regard et occupe l’esprit. » Il est impossible de plus délicatement observer et de mieux dire. Mme Claës nous touche encore quand, voyant dans les premiers temps son mari qui lui échappe, sans en comprendre la cause, « elle attend un retour d’affection et se dit chaque soir : — Ce sera demain ! en traitant son bonheur comme un absent. » Mais ce qui choque bientôt et ce qui revient indiscrètement à plusieurs reprises, ce sont les allusions directes aux secrets de l’alcôve, et à des situations conjugales, aisément déplaisantes, qui rappellent trop le théoricien de la Physiologie du mariage.