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d’honneur. Partisans de l’économie, les doctrinaires voulurent s’emparer de lui ; M. Thiers le courtisa également ; mais ce qu’il y eut de plus habile dans tout cela, ce fut la presse. Les journaux exaltèrent outre mesure le maréchal Gérard ; ce ne fut pas le seul sentiment de sa probité et de sa conduite politique qui détermina ces éloges, il y eut aussi une tactique : la presse, en plaçant si haut le maréchal, en le séparant si habilement du cabinet auquel il s’était associé, en lui disant : Quoi ! vous, homme d’honneur et de loyauté, vous osez rester avec de tels collègues ! en répétant sans cesse ces paroles, la presse entraîna le maréchal Gérard dans une voie qui ne pouvait long-temps convenir au cabinet dont il était le chef. Les journaux avaient l’instinct de la position du ministère ; ils savaient que la présidence était le point qui les divisait constamment, que le meilleur moyen d’amener la dissolution était précisément d’entraîner la retraite du maréchal Gérard ; ils l’y poussèrent de toutes les manières. Le tiers-parti s’empara de lui, et alors surgit tout à coup la question de l’amnistie, également préparée par la presse, exploitée avec une admirable persévérance, et sur laquelle par conséquent le maréchal était obligé de s’expliquer. Cette explication ne se fit point attendre : les journaux avaient créé la popularité du maréchal ; le maréchal voulut la conserver ; il se prononça fortement pour l’amnistie ; l’opinion l’exalta de plus en plus, et comme l’amnistie blessait le roi, soulevait des craintes pour ses conséquences, la démission offerte fut acceptée sans difficultés ; les embarras ministériels commencèrent, le conseil fut tout-à-fait ébranlé ; une crise fut imminente.

§. ii.LA CRISE MINISTÉRIELLE.

Il y a eu tant de faits dans ces huit jours de crise ministérielle, que je crois essentiel d’apporter quelque ordre et une certaine division dans la suite des accidens qui ont marqué la durée de cette crise. Le bulletin est peu glorieux, le résultat moins encore ; cependant, comme toutes les grandes choses historiques, je le diviserai par journées ; il est essentiel de bien préciser le rôle de chacun, de grouper autour de chaque nom propre l’importance qui lui appartient, et les dates sont bonnes à fixer. L’intérêt personnel, le dépit de tant de fortunes déchues, pourraient seuls inspirer des démentis à des faits dont l’authenticité est connue au château et dans le cabinet.

Première journée[1]. — Il a suffi de bien peindre la situation inté-

  1. Je prends le mot journée dans le sens d’une période de temps qui se rapporte plus encore à une suite d’affaires qu’aux vingt-quatre heures.