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d’eux le peuple moyen âge qu’ils avaient rêvé, ce peuple à gants de buffle, à pourpoint de serge, toujours la rapière au poing et le mort-dieu à la bouche ; dramatiques sacrépands que leur avait fait connaître la Porte Saint-Martin dans ses leçons d’histoire en huit tableaux. Au lieu de cela, ils n’ont aperçu qu’une population à longue crinière, à bragou-bras, silencieuse et grave comme les calvaires de granit parmi lesquels elle vit. Ils ont voulu parler, et au lieu de la prose de Froissard, ils ont entendu une langue dure, aux inflexions âpres et sifflantes. Alors, toutes leurs belles espérances se sont évanouies. Les réalités ont plu sur leur enthousiasme et l’ont éteint à plat. Le moyen âge, sans rouge, et fardé de sa seule crasse, leur a fait mal au cœur. Il leur a semblé qu’ils étaient tombés au milieu d’un peuple de sauvages de l’Orénoque. Ne comprenant ni les hommes, ni les choses dont ils étaient entourés, le vertige les a pris ; ils ont crié vers leur cher Paris, comme des enfans après la maison paternelle, et, tout épouvantés encore, ils se sont jetés dans la diligence qui devait les ramener à ce centre classique de toute civilisation.

Une fois de retour. Dieu sait quels récits ! quels détails ! quelles déplorations ! — Les uns n’avaient rien vu, rien trouvé. La Bretagne ne valait pas la peine qu’on la regardât ; c’était une vieille duchesse qui s’était figuré qu’elle était vénérable, et qui n’était que vieille. — D’autres, au contraire, avaient vu d’incroyables choses. Ils venaient de chez un peuple plus étranger au progrès social que les tribus du Kamchatka. Chez lui, le journal de terre s’achetait six liards ; la greffe n’était point encore connue, et les hommes mangeaient à l’auge, comme les pourceaux civilisés de Poissy[1]. Au récit de ces nouveaux Colomb, vous jugez quel était l’émoi ! Les bourgeois du Marais en frémissaient d’horreur ; les têtes les plus chaudes parlaient d’avertir le gouvernement ; et, un beau jour, la chambre des députés recevait une pétition dans laquelle on signalait la barbarie de cette Bretagne, qui parlait encore un patois inintelligible (pour ceux qui ne le comprenaient pas !), et par laquelle on suppliait très humblement le gouvernement de répandre dans cette

  1. Voyez la lettre publiée par M. Aimé Martin dans le Journal des Débats.