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POÉSIES POPULAIRES DE LA BASSE-BRETAGNE.

malheureuse contrée la langue de Voltaire et de Rousseau[1], cette langue éloquente et si gracieuse dans la bouche d’un paysan champenois ou d’un gamin de Paris !

Nous aurions plaint les philantropiques auteurs de cette pétition, si le hasard les eût mis face à face d’un Le Brigand[2] ou d’un Latour d’Auvergne[3]. Leur opinion exprimée sur le celtique aurait amené une discussion scientifique dont il leur eût été difficile de se tirer. Nos érudits n’auraient pas manqué de leur démontrer que le prétendu patois qu’ils attaquaient était une admirable langue, parlée autrefois dans une partie du monde, et dont nos jargons modernes s’étaient enrichis. On leur eût prouvé que toutes les poésies romanes, toutes les féeries, tous les romans chevaleresques avaient été primitivement écrits en celtique, et que les troubadours n’avaient fait que les traduire ou les imiter. Il eût suffi du reste, pour arriver à l’évidence de cette vérité, de répéter ce qu’a dit à cet égard de Larue, dans son mémoire sur les bardes de l’Armorique.

Nous ne prétendons pas entrer dans ces arides discussions, ni prendre en main le drapeau de nos enthousiastes philologues. Sans discuter l’antiquité du breton, ni son identité avec le celtique, nous tâcherons de donner une idée des poésies populaires que la Bretagne possède encore, d’analyser leur caractère et de faire saisir le rapport qu’elles peuvent avoir avec le pays où elles sont nées, et les hommes qui l’habitent.

Cependant nous ne pouvons nous défendre, avant d’entrer en matière, de répondre à une objection qui a souvent été faite contre l’existence d’une littérature bretonne antérieure à la littérature romane.

On a demandé comment les ouvrages primitifs, écrits en langue bretonne, auraient pu se perdre, et l’on a tiré, de l’impossibilité de cette disparition, la conclusion qu’ils n’avaient jamais existé.

  1. Cette pétition fut présentée à la chambre des députés avant la révolution de juillet.
  2. Le Brigand, philologue d’une érudition prodigieuse, et né dans les Côtes-du-Nord. Il a soutenu qu’Adam et Ève parlaient breton dans le paradis terrestre.
  3. Latour-d’Auvergne, premier grenadier de France, était de Carhaix. Il a fait un ouvrage sur les antiquités celtiques.