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rimés, mais sans que les auteurs se piquent d’un grand rigorisme à cet égard. Les licences qu’ils prennent pour les rimes, et même pour la mesure, sont d’autant plus facilement pardonnées qu’ils s’adressent à un public peu lettré et peu difficile. Eux-mêmes sont d’ailleurs, le plus souvent, des hommes simples et ignorans, qui chantent comme les fauvettes et les rossignols, sans règle, sans travail, sans méthode. Ce sont ou de jeunes cloarecs tristes d’amour, ou des maîtres d’école de village, ou des clercs de campagne, ou même de pauvres manouvriers vivant de leurs bras et suant leur pain de chaque jour. Habituellement ils donnent, dans la dernière strophe de leur poème, leur nom, leur profession, et des détails sur leur famille. Cette dernière strophe est, pour le poète breton, ce qu’est pour nous la préface : une carte de visite déposée à la porte de la Renommée.

Tous les poèmes à strophes, écrits en langue celtique, s’approprient à un air national et se chantent, quelle que soit leur étendue. Je me souviens qu’un jour, en arrivant au pardon de saint Jean du doigt, près Morlaix, j’entendis un aveugle qui chantait des vers bretons sur la naissance de Jésus-Christ ; en repassant, le soir, je le trouvai à la même place, continuant son sujet, qu’il n’avait point achevé. Je m’approchai, et j’appris de lui-même qu’il lui fallait habituellement tout un jour pour chanter le poème entier. Encore ne le savait-il pas complètement, comme je pus m’en assurer en lui faisant réciter quelques strophes dont les interpositions, les lacunes et les non-sens perpétuels prouvaient que l’ouvrage primitif avait été défiguré. Du reste, il en est de même de presque toutes les poésies que chantent les Bretons. Ils n’en savent, le plus souvent, que des fragmens altérés, qu’ils psalmodient, comme les gondoliers des lagunes le font des strophes du Tasse, en substituant fréquemment leurs propres inspirations à celles de l’auteur.

Quant au nombre des poèmes populaires de la Bretagne, nul ne saurait le dire. En le portant à huit ou dix mille, on resterait au-dessous de la réalité. J’ai parcouru le Finistère en tout sens, j’ai écouté ses pâtres, ses mendians, ses fileuses, et presque à chaque fois c’était un nouveau chant que j’entendais. Aussi nulle parole ne peut rendre quelle enivrante sensation éprouve celui qui comprend notre vieux langage, lorsque, par un beau soir d’été, il traverse