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POÉSIES POPULAIRES DE LA BASSE-BRETAGNE.

Et ces cris retentiront pendant l’éternité ! et ces souffrances seront toujours, et ce feu, ce feu !… — c’est la colère de Dieu qui l’a allumé ; ce feu, il brûlera toujours, sans languir, sans fumer, sans pénétrer moins profondément vos os !

L’éternité ! — Malheur ! — Ne jamais cesser de mourir, ne jamais cesser de se noyer dans un océan de souffrances !

Ô jamais ! tu es un mot plus grand que la mer ! Ô jamais ! tu es plein de cris, de larmes et de rage ; oh ! tu es rigoureux ; oh ! tu fais peur[1]. —


Il nous semble qu’il y a, dans ces terribles strophes, un vague écho de la voix de Dante, non aussi profondément triste, aussi désespérant pour l’ame, mais plus farouche, plus effrayant peut-être ! Sans doute que cet enfer sent trop le païen et le vieux celte ; la torture physique tient trop de place dans cet horrible tableau ; mais, tel qu’il est, il fait crisper la chair d’épouvante. — C’est la salle basse du Châtelet, mais avec Dieu pour grand prévôt, et l’éternité pour horloge !

Du reste, il ne faudrait pas prendre cette matérialité crue et sauvage pour type des chants religieux de l’Armorique. Ils savent aussi plier leur dur langage aux douces inflexions de la joie. Il existe un autre cantique sur le paradis, aussi suave, aussi limpide que celui-ci est forcené.

Mais ce qui rend tous ces chants sacrés remarquables, ce qui les distingue, c’est l’ardente foi qu’ils révèlent, la puissance d’amour dont ils sont empreints. Sans doute, il faut que les croyances existent pour que de pareilles poésies soient composées ; mais on doit concevoir aussi combien ces mêmes croyances s’entretiennent et se passionnent par la popularité de chants semblables. Les enfans naissent et grandissent au bruit de ces cantiques. Dès qu’ils peuvent parler, ils les apprennent, ils s’en pénètrent, ils finissent par les chanter sans s’en apercevoir et sans y songer, comme ils respirent, comme ils marchent, comme ils regardent. Ce sont surtout les noëls qu’ils répètent ainsi, et, dans leur bouche, ces chants

  1. Cantic an ifern.