Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/515

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
511
POÉSIES POPULAIRES DE LA BASSE-BRETAGNE.

et dont il ne savait rien que lorsque la foudre ou le soleil avait brillé. Il n’avait plus de patrie, il se rabattit dès lors sur la famille, et, de là, naquirent les guerz destinés à célébrer des évènemens particuliers, les amours, les morts, les douleurs, les miracles qui avaient attendri ou épouvanté les cœurs. La Bretagne avait fini son histoire, elle se mit à faire son roman.

Les ballades bretonnes ou guerz sont donc toujours des récits d’évènemens intimes. Ce sont de poétiques papiers de famille et non des documens politiques ; mais les mœurs et les croyances de l’époque y sont vigoureusement moulées, et l’on y trouve des détails que l’on chercherait vainement ailleurs.

Le guerz peut se partager en quatre espèces fort distinctes : — le guerz sacré, qui est, ou la légende d’un saint, ou une chronique pieuse ; — le guerz fantastique, qui raconte quelque merveilleuse apparition, ou quelque grand miracle ; — le guerz plaisant, qui n’est autre chose que le fabliau du moyen-âge ; — enfin, le guerz historique, qui est le récit d’un évènement sombre et touchant.

Les guerz de saint Laurent, de Michel Noblet, du Juif errant, de sainte Triffine, de sainte Aude, sont célèbres parmi les guerz sacrés.

Parmi les guerz fantastiques on peut citer : les Moines de Saint-Nicolas, le Chant des ames, l’Homme qui ne mange pas, la Tête de mort. — Nous donnerons ici la traduction de ce dernier.

LA TÊTE DE MORT.

C’était le vingt-huitième jour de février ; le carême allait commencer. Trois malheureux jeunes gens étaient assis à table dans une auberge, et ils se faisaient servir des liqueurs les plus délicieuses.

Quand ils furent pleins d’ivresse, l’idée leur vint de prendre des masques et d’aller courir ainsi dans les carrefours.

Deux d’entre eux cachèrent leurs vêtemens sous des peaux velues, et de leurs têtes s’élevaient deux cornes de taureau.

Le troisième… (oh ! celui-là fut le plus malheureux !) le troisième alla au reliquaire. Il enfonça sa tête dans le crâne desséché d’un mort ; — dans les trous des yeux il plaça deux lumières étincelantes !

C’était horreur à voir.