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POÉSIES POPULAIRES DE LA BASSE-BRETAGNE.

Ab ira et odio et omni mata voluntate, libera nos. Domine[1] !

— Feu !

À ce mot, cent cinquante coups de fusil partirent en même temps.

Alors ce fut une chose horrible à voir que cette foule désarmée et surprise, recevant la mort sans pouvoir se défendre ni se venger. Les gardes nationaux, en étendant leur ligne, avaient fermé les deux bouts du chemin, et maintenaient ainsi la procession sous le feu des tirailleurs, qui, placés des deux côtés, tuaient à bout portant. Cela dura jusqu’à ce que les plus braves ou les plus désespérés de ceux que l’on parquait ainsi dans la mort eussent fait une trouée par laquelle ils s’échappèrent. Ils disparurent dans la nuit, avec des cris, des pleurs et des menaces, traînant avec eux leurs morts et leurs blessés. « Je vis une mère, m’a raconté le témoin de cette scène, passer près de moi, emportant sur chacun de ses bras le cadavre d’un enfant. Elle paraissait folle de douleur. Elle criait, elle bondissait échevelée à travers les sillons. Les deux têtes de ses enfans morts balottaient sur ses deux épaules, comme les deux extrémités d’un bissac rempli. À la clarté du jour qui commençait, on voyait une trace de sang couler après elle. C’était à glacer le cœur. Je la vis passer, en courant, devant les premiers rangs de nos tirailleurs ; un coup de fusil partit ; elle tomba et ne se releva plus. Je pensai qu’on l’avait tuée, et je m’en réjouis, car c’était pitié de la laisser vivre dans cette douleur. »

Ce fut après plusieurs évènemens semblables à celui de la procession des Rogations qu’un grand nombre de prêtres qui étaient restés dans nos campagnes les quittèrent pour éviter de plus grands malheurs, et écarter de leurs ouailles les dangers auxquels ils les exposaient par leur présence. Les mieux cachés ou les plus tenaces restèrent ; les autres passèrent en Angleterre.

Et ce ne fut pas un sacrifice vulgaire que cet exil ! Ce ne fut pas une promenade romanesque comme l’émigration qui avait eu lieu peu auparavant, alors qu’une noblesse dénationalisée avait quitté la France, en riant, peu soucieuse de devenir anglaise ou autrichienne, pourvu qu’on lui laissât la poudre et les habits à paillettes.

  1. De la colère, de la haine et du mauvais vouloir. — Délivre-nous, Seigneur !