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La patrie tenait ferme au cœur de ces pauvres prêtres ; ils la quittèrent avec larmes et désespoir. C’est qu’aussi cette patrie était la Bretagne, et tout le monde ne sait pas jusqu’à quel point cette sauvage contrée est chère à ceux qui y ont vu le jour. Dans les grandes villes, on ne connaît pas l’amour du pays. Les hommes y croissent au milieu du bruit et du changement. À trente ans, ils ne se rappellent plus dans quelle maison ils sont nés, et ils ont déjà vendu le lit où leur père est mort. Cette existence patriarcale, cet esprit de famille qui attache au foyer, aux vieux portraits, aux vieux meubles des ancêtres, leur sont inconnus. Ils voyagent dans la vie comme les Arabes dans le désert, allant toujours vers les meilleurs pâturages, et sans bâtir de nid pour leurs affections. En délogeant, ils laissent leurs souvenirs avec les tapisseries dans la maison qu’ils abandonnent. Aussi ne peuvent-ils comprendre nos attachemens au sol, à l’air, au clocher du village, ni ces acclimatemens de l’ame dans un certain lieu, qui font que partout ailleurs elle devient triste et languissante. Le mal du pays est un de ces mystères que l’on ne peut concevoir si l’on n’est point né au fond d’une province, dans quelque coin de terre où les rameaux de l’antique foi et de l’esprit de famille ombragent encore le berceau. Dans les villes capitales on a entendu ce mot, on le répète ; mais ce n’est qu’un bruit sonore, quelque chose comme les mariages d’amour, comme les plaisirs purs d’une existence champêtre ; — un lieu commun sentimental que tout le monde sait par cœur, mais que personne ne connaît.

Il n’en était point ainsi pour ces hommes que la persécution forçait à quitter leur paroisse ; l’affection pour le pays était, chez eux, le résultat du caractère, des croyances et des habitudes. Abandonner la Bretagne, c’était renoncer à tout ce qui leur avait été doux sur la terre ; c’était, réellement, passer d’une vie à l’autre. Ils étaient d’ailleurs accoutumés au calme de la retraite et ils s’effrayaient d’être ainsi lancés dans les flots du monde ; ils avaient joui jusqu’alors de ces fortunes paisibles et abritées, de ces existences en espalier qui s’épanouissent à l’aise sous le soleil du pays, et voilà que maintenant, sans appui, il leur fallait résister à tous les orages et jeter leurs destinées en plein vent dans la vie ! Sans doute que la résignation et la force apostolique soutinrent leur courage, mais leur cœur saigna, leur esprit s’assombrit profon-