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siècle, une nation qui d’un souffle magique ressuscitât les villes endormies, les guerres apaisées dans le tombeau, pour jeter en pâture à l’avide satiété d’une soirée ce que des myriades d’années ont eu peine à contenir.

C’est-à-dire que pour un pareil public il n’y a pas de poésie possible.

Mais le malade souffre et appelle la guérison ; la crise est trop douloureuse et ne peut se prolonger. Harcelé par tous les côtés à la fois, il soupire après le repos ; il ne distingue plus la saveur des émotions qui lui arrivent ; il a usé dans la débauche le meilleur de ses forces, et il sent bien qu’il est à bout ; il se consulte avec effroi ; il n’entrevoit pas d’issue ; il s’agite avec une inquiétude furieuse, et se dit tous les jours : « Où irai-je maintenant ? Quelle voie nouvelle s’ouvrira devant moi ? Mon dieu ! j’ai vieilli bien vite. Je suis né d’hier, et voilà que déjà mes désirs s’éteignent ; d’heure en heure mon sang s’attiédit, et bientôt je n’entendrai plus le battement de mes artères. J’ai souhaité ardemment, mon souhait s’est accompli ; je n’ai eu qu’à étendre la main, et j’ai touché ce que mes yeux dévoraient d’avance. Maintenant je languis ; le monde est pour moi comme s’il n’était pas, je m’endors dans ma satiété ; mes oreilles sont sourdes au bruit ; mon regard ne jouit plus de la lumière ; je ne sais plus frémir ni trembler ; je suis entré dans la mort avant de quitter la terre.

« Est-ce que tout est fini pour moi ? Est-ce qu’il n’y a plus de nouveaux spectacles ? Est-ce qu’il faudra vivre tout entier dans la mémoire de ce qui n’est plus ? Mais je n’ai que des souvenirs confus, et pas une cime lumineuse où la pensée puisse gravir et se reposer, pas une vallée paisible et profonde où le cœur puisse abriter sa tristesse. Ne trouverai-je pas une route qui me conduise à des cieux inconnus ? Ne pourrai-je fouler aux pieds des plantes ignorées ? Au-delà des terres que j’ai parcourues, n’y a-t-il pas des fleuves plus rapides, des villes plus bruyantes ? »

La plainte ne tarit pas et la douleur persévère. Le malade retourne malgré lui aux émotions de la veille ; il espère follement qu’une secousse plus violente le rajeunira ; il se livre tout entier, il s’abandonne aveuglément, comme si la foudre devait descendre et le purifier par le feu.