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pareilles misères ? Autant vaudrait lui demander pourquoi il oublie souvent de coudre des rimes à ses vers. Son imagination, entendez-vous, vaut bien assez par elle-même et n’a pas besoin des fastueux ornemens de la syntaxe. Il a sa langue à lui, docile, variée, irrégulière pour les profanes, imprévue, impossible à prévoir, mais riche, abondante, inépuisable en ressources. Il la gouverne à sa guise, et ne rend compte à personne de sa volonté.

C’est pourquoi le Mariage d’argent, Bertrand et Raton, et l’Ambitieux sont trois chefs-d’œuvre du premier ordre.

C’est à peine si je crois utile de parler de plusieurs plaisanteries excellentes, récitées jeudi dernier. La chambre des députés, le ministère, la cour, rien n’est épargné ; les vanités parlementaires, les tripotages d’antichambre, l’égoïsme des favoris, tout cela est flagellé avec une virilité qui rappelle Juvénal en ses meilleurs jours.

Le public a très bien pris son plaisir en patience ; il n’a pas murmuré un seul instant. Il semblait humer de tous ses poumons le parfum de sagesse qui s’exhale de toutes les parties de ce grand poème. Les acteurs parlent debout pendant une demi-heure ; ils s’asseoient pour parler encore ; ils se relèvent pour continuer leur dialogue : personne n’a paru étonné de les entendre pérorer si long-temps. Malgré la complication savante de la fable, l’action proprement dite est toujours au même point, depuis le commencement jusqu’à la fin de la soirée ; mais n’importe ! la salle tout entière était suspendue à la bouche des acteurs comme Didon aux lèvres d’Énée.

Pourquoi cette admiration complaisante, ou plutôt cet enthousiasme obstiné ? pourquoi pas une voix ne s’élève-t-elle contre l’envahissement de cette colossale renommée ? Il y a donc un charme tout-puissant dans le génie de cet homme ? il a donc fasciné son siècle ? Il parle, il est écouté ; il chante, il est écouté ; il danse, il est écouté encore ; il se croise les bras, et la foule s’inquiète de son oisiveté. Quand il a passé tout un mois sans se montrer, on s’interroge, on cherche à deviner ses projets, comme ceux de la diète germanique. On s’épuise en conjectures sur le silence de ce poète illustre.

C’est que sa gloire est consacrée ; c’est que depuis 1819, depuis