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REVUE DES DEUX MONDES.

Dès son débarquement à Douvres, qui eut lieu le 4 avril 1822, M. de Châteaubriand fut en butte à l’hommage d’une bien honorable et flatteuse curiosité, mais fort singulière dans sa manifestation. À peine le bruit de son arrivée eut-il été répandu, que ce fut un émoi général parmi les dames de la ville. S’étant formées à la hâte en assemblée extraordinaire, elles nommèrent, séance tenante, une députation composée de vingt-cinq des plus considérables d’entre elles, à la tête de laquelle fut mise lady Mantell, la femme du maire, qui dut, en leur nom, aller aussitôt saluer le célèbre père d’Atala, d’Amélie, de Velleda et de Cymodocée. À l’approche de cet irrésistible bataillon qui envahissait son hôtel et prétendait à toute force être introduit incontinent, l’embarras de l’ambassadeur fut extrême. Ce n’était pas qu’il ne se sentît le courage de soutenir le feu de tant de beaux yeux, mais la loi d’une rigoureuse convenance l’autorisait-elle à souffrir cette visite ? Il eût esquivé volontiers la difficulté en s’évadant ; mais les issues de son appartement étaient gardées. Mesdames les députées ne se fussent pas retirées sans satisfaction ; une émeute eût éclaté peut-être ! En cette perplexité, M. de Châteaubriand chargea l’un de ses secrétaires de parlementer avec les assiégeantes, et s’étant fait excuser de les admettre en un logement où il était à peine établi, il obtint d’avoir l’honneur d’être reçu d’elles, chez le maire, dans la soirée. Ce déplacement de l’entrevue, dont la courtoisie fut appréciée, eut pour effet d’exalter encore l’admiration des dames de Douvres, et M. de Châteaubriand n’y perdit rien pour avoir différé son ovation, car il eut affaire le soir, non-seulement à l’enthousiasme de la députation entière, mais à celui de toutes les autres ladies de la ville que put contenir le salon de mistress Mantell.

Il y avait vingt ans que M. de Châteaubriand n’avait vu l’Angleterre ; il n’y était pas retourné depuis son émigration. La nouvelle impression que lui fit Londres fut bien différente de celle qu’il en avait gardée en son souvenir. « Il s’étonnait du rapide progrès qu’y avaient fait les principes de la révolution française. Tout y était bien changé, estimait-il. Le peuple lui semblait plus mal vêtu et plus mal portant ; la race même avait perdu de sa beauté ; la taille des hommes avait baissé ; la physionomie des femmes n’était plus la même ! elles étaient plus loin de cette angélique expression