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LA DERNIÈRE CRISE MINISTÉRIELLE.

faits. Au milieu des intérêts qui se croisent et qui se heurtent, je me contenterai d’un examen rationnel des choses et des hommes. Ceux qui, comme moi, veulent la force et la considération du pouvoir, doivent s’affliger du spectacle que la France a eu sous les yeux. Le principe monarchique en a été profondément affecté.

§. iv.LES TROIS JOURNÉES DU MINISTÈRE BASSANO.

Dans la crise que subissait le cabinet du 11 octobre, un ministre, M. Persil, semblait plus spécialement se séparer de ses collègues. Le garde des sceaux, tout couvert d’impopularité, jouissait néanmoins auprès du roi d’une sorte d’intimité et de confiance. Quand il s’était agi d’une démission commune concertée entre MM. de Rigny, Guizot, Thiers, Humann et Duchâtel, pour imposer M. de Broglie, M. Persil avait paru hésiter ; il n’avait pas promis bien nettement à la majorité du conseil de la suivre dans sa disgrâce. Néanmoins ses collègues l’invitèrent au dîner politique chez M. de Rigny, dans lequel devaient se concerter les démissions définitives et l’envoi simultané des portefeuilles au roi. Le dîner fut chaud, cordial, expansif ; dans cet échange de pensées, d’esprit, de sensations auquel entraînaient des libations vives, répétées, jamais peut-être le caractère de Louis-Philippe n’avait été mieux disséqué. On pénétra toutes ses faiblesses, son amour-propre, l’idée exagérée de sa capacité ; on se proclama des nécessités au milieu des toasts assez fréquens de M. Duchâtel, qui ne ménageait pas les tendances royales, et devisait joyeusement sur quelque ridicule du château. Il fut arrêté que les démissions seraient définitivement données le soir même, si le roi n’acceptait pas M. de Broglie.

M. Persil n’avait pris qu’une part très modérée aux discussions et aux persifflages politiques de l’après-dînée. Lorsque ces persifflages arrivèrent à un certain degré d’incandescence, M. Persil parut s’offenser : « Comment, messieurs, s’écria-t-il, vous connaissez les périls de la situation, et vous jouez ainsi avec elle ! — Pardieu, répondit M. Duchâtel, est-ce notre faute si nous sommes obligés de prendre notre congé ? que les choses aillent comme elles pourront, cela ne nous regarde plus. » En quittant l’hôtel de M. de Rigny, le garde des sceaux s’empressa de se rendre auprès du roi et de lui raconter tout ce qui s’était passé au foyer domestique du ministre des affaires étrangères. Rien ne fut déguisé, et Louis-Philippe, surtout blessé en son amour-propre, se confirma dans l’idée de se séparer des doctrinaires. M. Persil, par son dévouement, acquit un puissant degré d’inti-