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des promesses de la Charte, et qu’il était prêt à la soumettre à ses collègues. — « C’est bien, dit M. de Bassano, voyons-en les articles pour les discuter et les arrêter ensuite. » M. Persil fit observer que, dans les habitudes jusque-là adoptées, tous les projets n’étaient sérieusement discutés qu’en présence du roi ; que souvent on avait dû à ses observations judicieuses et puissantes des améliorations remarquables ; que dans tous les cas, lui, M. Persil, ne voulait point déroger à cette habitude de discuter devant le roi. M. de Bassano prit le projet de loi pour le communiquer à quelques légistes, ses amis. Quant aux nouveaux ministres, ils n’insistèrent pas ; ils voulaient conquérir par leur condescendance un peu de pouvoir sur l’esprit de Louis-Philippe.

Ce fut alors que des insinuations furent faites à M. Passy, ministre des finances, sur une question très sérieuse, la dette des États-Unis. Ce projet avait été repoussé par la chambre, et le roi chargeait pourtant le nouveau cabinet de le reproduire. J’ai besoin de dire que Louis-Philippe avait eu une conférence préliminaire avec M. de Bassano, toute spécialement appliquée à cette question des États-Unis ; M. de Bassano répondit : « Qu’il était plus à même qu’aucun autre d’examiner et de résoudre cette question, puisqu’à la tête du cabinet de l’empereur, à l’origine de cette affaire, il pouvait en expliquer les premiers faits et les principes constitutifs. À son tour, M. Passy fit observer que c’était chose difficile, et qu’il fallait réfléchir profondément avant de s’engager dans une telle voie. Le roi répliqua que le parlement qui avait rejeté ce projet n’était plus le même que celui devant lequel il serait reproduit cette année ; qu’il fallait tenter de nouveau la majorité ; qu’au reste, les engagemens diplomatiques étaient tellement impérieux, qu’il n’y avait point à hésiter si on voulait ne pas compromettre l’honneur de la couronne et la loyauté de la France. D’ailleurs, le roi n’en avait-il pas parlé à M. Passy avant l’acceptation du portefeuille ? M. Passy, qu’on avait déjà entouré par des terreurs de Bourse, fut déplorablement affecté de cette situation dans laquelle on le plaçait.

Ces tiraillemens avaient duré deux jours ; chaque nouveau ministre s’était installé dans son département. La presse de gauche s’était ravisée ; tout en se jouant du peu de considération des hommes, elle soutenait la pensée du changement ministériel, elle le présentait comme un coup de partie gagné contre la doctrine ; le ministère était un pas en avant ; on secouait les langes d’une coterie. D’ailleurs, M. de Bassano, par ses vieux souvenirs du parti impérial, trouvait appui même dans les organes extrêmes de la république ; la Tribune soutenait son pouvoir. Les plus timides d’entre les ministres, sentant leur position, cherchaient appui dans les phrases de juillet, sans s’apercevoir qu’on était déjà loin de cette épo-