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La vérité est pourtant que, deux heures après le dîner de M. Dupin, M. Teste et M. Passy s’étaient réunis, et que là ils avaient renouvelé l’échange mystérieux de leurs dégoûts et de leurs dépits. M. Passy venait d’apprendre la démarche qu’avaient faite les banquiers et les capitalistes contre le duc de Bassano et lui-même, M. Passy : on dénonçait au roi M. le duc de Bassano comme un homme criblé de dettes, contre lequel il existait des jugemens. M. Passy, ministre nouveau et de peu de fortune, n’inspirait aucune confiance aux capitalistes ; la Bourse allait baisser ; le commerce de la capitale s’alarmait de voir M. Thiers et M. Guizot hors des affaires. Ainsi l’affirmaient MM. de Rotschild, et on crut la banque. Péniblement agités, MM. Passy et Teste rédigèrent une lettre commune de démissions, qu’ils devaient envoyer le soir même au roi. Cette séparation d’avec tout le conseil, cette manière de régler leurs affaires à part, a fait supposer à quelques personnes que MM. Passy et Teste, tous deux chefs de fractions parlementaires, reconnaissant l’impossibilité de leurs collègues, n’avaient pas une répugnance absolue pour entrer dans une autre combinaison que M. Thiers préparait dans l’ombre pour opposer au ministère Bassano. Les refus postérieurs de M. Passy prouveraient que cette idée n’était point dans son esprit ; le dégoût seul déterminait sa démission. La lettre écrite au roi, et qui fut portée au château à onze heures, reposait sur des données vagues, sur les phrases habituelles de l’impossibilité de remplir la mission que sa majesté leur avait confiée. Je note ici que M. de Bassano ne sut pas le soir le premier mot de cette démarche, et que le roi la garda comme un secret, qu’il ne communiqua également à personne. Le premier membre qui en fut informé, le lendemain à six heures, fut M. Ch. Dupin ; sur-le-champ il alla consulter son frère, et à huit heures, une semblable démission était envoyée au roi, qui manda M. de Bassano aux Tuileries. Ce fut ainsi Louis-Philippe qui apprit au président de son conseil la dissolution du ministère.

Dans cette nouvelle conférence de Louis-Philippe avec M. de Bassano, il ne lui demanda pas sa démission ; au contraire, avec des paroles bienveillantes, il l’engagea à chercher de nouveaux élémens pour recomposer un cabinet ; il lui redit les embarras où le jetaient encore ces démissions intempestives. « Je n’aurai donc pas encore de ministère ! s’écria-t-il avec douleur ; faudra-t-il que je me jette dans les bras des doctrinaires ? Cela n’est pas, cela ne peut pas être ; faites-moi un ministère composé d’hommes parlementaires, qui puisse aller jusqu’aux chambres. » Le général Bernard resta fidèle à M. de Bassano ; ils ne donnèrent point leur démission ; chacun resta dans son département, et le roi travailla personnellement avec les employés du ministère des affaires étrangères, tan-