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et son mépris de la presse et de l’opinion, s’il en vient à unir toutes ces choses, fort conciliables comme on voit, nous aurons prochainement un ministère tiers-parti, un ministère Dupin, un ministère unique.

Déjà tous les conciliateurs, tous les entremetteurs politiques s’agitent. On va de M. Dupin à M. Molé, de M. Molé au maréchal Gérard, et même à M. Odilon Barrot. Il est des esprits habiles qui essaient, depuis plusieurs années, de réunir M. Dupin et M. Odilon Barrot, de faire fraterniser ces deux rivalités de tribune et de robe, ces deux adversaires de la chambre et du palais, qui se tracasseraient infailliblement s’ils étaient placés l’un près de l’autre. Étrange projet ! tentative gigantesque ! Peut-être serait-il moins difficile d’accorder M. Dupin avec lui-même que M. Dupin avec M. Barrot.

Quoi qu’il en soit, les négociateurs de tous les rangs et de toutes les nuances (on dit avoir vu parmi eux jusqu’à M. Thiers) sont revenus assiéger la porte de l’hôtel de M. Molé. Mais M. Molé est en grande défiance. Il sait que la soif d’hommes honorables qu’éprouve le pays doit ramener nécessairement à lui ; et ayant reconnu à quelles pitoyables roueries les habiles du ministère savent descendre dans l’occasion, il se tient sur ses gardes. M. Molé, qui avait posé si nettement le principe de non-intervention, pendant son ministère des affaires étrangères, en 1830, M. Molé se dit modestement dépassé par la nuance qui se forme entre M. Thiers et M. Dupin. À la vérité, en parlant ainsi, M. Molé ne peut retenir un sourire ironique. Il est certain toutefois que le roi, d’ordinaire si habile et si fin, a été cette fois le jouet des doctrinaires. La tendance naturelle de son esprit l’a fait se complaire d’abord dans le bon tour de compère et l’ingénieuse mystification que M. Thiers et M. Guizot préparaient au tiers-parti. C’était un trait d’esprit fort agréable sans doute, que de prendre au dépourvu ce pauvre tiers-parti, qui demande depuis si long-temps les portefeuilles, que de mettre en demeure M. Dupin, que de lui faire donner deux ou trois de ses amis comme otages, d’embarrasser leurs mains novices du portefeuille le plus étranger à leurs études et à leurs connaissances, et de les faire présider par un vétéran de l’empire, resté en politique à M. de Norvins, et en littérature à feu M. Arnault. Mais ce n’était pas seulement au tiers-parti que M. Thiers et M. Guizot comptaient jouer cette bonne pièce ; ils engageaient, ils compromettaient ainsi plus fortement la royauté avec eux, ils se débarrassaient, non pas seulement de M. Dupin, de M. Passy et de ses amis, mais de M. Molé qu’ils avaient tenté de traîner sur la claie, et enfin ils dévoraient, au nom de la royauté, toute une nuance ministérielle, ne lui laissant d’autre refuge que l’extrême gauche ou eux-mêmes. Les doctrinaires