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« Comme on l’avait chicané sur les heures qu’il avait choisies pour son cours dans la semaine, il se mit en tête de faire le dimanche des leçons pour lesquelles il rencontra des obstacles. On était à peine parvenu à aplanir, non sans peine pour l’autorité supérieure, de petites contrariétés et de plus grandes qui en étaient résultées, quand les assertions du professeur sur Dieu et sur les choses divines, à l’égard desquelles il eût sans doute mieux valu observer un silence prudent, nous attirèrent du dehors des invitations désagréables.

« Fichte avait osé, dans son Journal philosophique, s’exprimer sur Dieu et sur les choses divines d’une manière qui paraissait contredire le langage usité pour de tels mystères. On le blâma ; sa défense n’améliora pas l’affaire, parce qu’il y mit de la passion, sans se douter des bonnes dispositions qu’on avait ici à son égard, quoiqu’on sût bien interpréter ses pensées et ses paroles. On ne pouvait à la vérité le lui faire savoir crûment, et il soupçonnait aussi peu qu’on cherchait à le servir à l’amiable. Les paroles pour et contre, les doutes, les affirmations, les confirmations et résolutions se croisèrent à l’académie en une foule de propos peu certains : on parla d’une décision ministérielle, où il n’était pas question de moins que d’une réprimande publique à laquelle Fichte devait s’attendre. Il perdit alors toute modération, et se crut autorisé à adresser au ministère une lettre fougueuse où, supposant cette mesure comme certaine, il déclarait, avec une morgue violente, qu’il ne souffrirait jamais pareille chose, qu’il préférait quitter sans plus tarder l’académie, ce qu’alors il ne ferait pas seul, attendu que plusieurs professeurs étaient d’accord pour s’en aller en même temps que lui.

« Dès lors, la bonne volonté qu’on avait pour lui se trouva traversée et même paralysée. Il ne restait plus ni échappatoire ni compromis possible. Le parti le plus doux était de lui donner sur-le-champ sa démission. Ce n’est que lorsque le mal fut sans remède qu’il connut la tournure qu’on avait désiré donner à l’affaire, et il regretta sa précipitation comme nous la regrettions aussi. »

N’est-ce pas là, corps et âme, le Goëthe ministériel avec ses accommodemens et ses prudentes réticences ? Il ne blâme pas au fond Fichte d’avoir dit ce qu’il pensait, mais de l’avoir dit sans