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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

réel. Pour M. Schelling au contraire, pendant qu’il part du même principe, le monde des faits se résout en pures idées, la nature en pensée, le réel en idéal. Ces deux tendances de Fichte et de M. Schelling se complètent donc jusqu’à un certain point ; car, en admettant une fois ce principe supérieur dont je viens de parler, la philosophie pouvait se diviser en deux parties, dans l’une desquelles on démontrerait comment de l’idée résulte la nature, et dans l’autre comment la nature devient pure idée. La philosophie a donc pu se partager en idéalisme transcendantal et en philosophie de la nature. Aussi M. Schelling a-t-il réellement reconnu ces deux faces, et il a démontré la dernière dans ses Idées pour servir à une philosophie de la nature, et la première dans son Système de l’idéalisme transcendantal.

Je ne parle de ces deux ouvrages, dont l’un parut en 1797 et l’autre en 1800, que parce que ces deux faces réciproquement complémentaires sont exprimées dans le titre même, et non parce qu’ils contiennent un système complet. Non ; un tel système ne se trouve dans aucun des livres de Schelling. Il n’y a point chez lui, comme chez Kant et chez Fichte, d’ouvrage principal qu’on puisse considérer comme le point central de sa philosophie. Il serait injuste de juger M. Schelling d’après le contenu d’un livre, et à la rigueur de la lettre. Il faut plutôt lire ses livres d’une manière chronologique, y poursuivre la formation progressive de sa pensée, et s’attacher ensuite à son idée fondamentale. Il ne me paraît pas moins nécessaire de distinguer souvent chez lui là où cesse la raison et où la poésie commence ; car M. Schelling est un de ces êtres auxquels la nature a donné plus de goût pour la poésie que de puissance poétique, et qui, incapables de satisfaire les filles du Parnasse, se sont enfuis dans les forêts de la philosophie, et y contractent avec des Hamadryades abstraites les liaisons les plus infécondes. Leur sentiment est poétique ; mais l’instrument, la parole, est faible : ils aspirent inutilement vers une forme artistique par laquelle ils puissent communiquer leurs pensées et leurs connaissances. La poésie est à la fois le côté fort et faible de M. Schelling ; c’est par là qu’il se sépare de Fichte, autant à son profit qu’à son désavantage. Fichte n’est que philosophe, et sa puissance consiste en dialectique, sa force en démonstrations. Mais c’est là le