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dans le livre intitulé Bruno, ou du Principe divin et naturel des choses. Ce titre rappelle le plus noble martyr de notre doctrine, Giordano Bruno de Nola, de glorieuse mémoire. Les Italiens prétendent que M. Schelling a emprunté au vieux Bruno ses meilleures pensées et ils l’accusent de plagiat. Ils ont tort, car il n’y a pas de plagiat en philosophie. En 1804, le dieu de M. Schelling parut complètement fini dans un écrit intitulé : Philosophie et religion. C’est ici que nous trouvons dans son entier la doctrine de l’absolu exprimée en trois formules. La première est la catégorique : l’absolu n’est ni l’idéal ni le réel (ni esprit ni matière), mais il est l’identité de tous deux. La seconde formule est l’hypothétique : quand un sujet et un objet sont en présence, l’absolu est l’égalité essentielle de tous deux. La troisième formule est la disjonctive : il n’y a qu’un seul être, mais cet être unique peut être considéré en même temps, ou tour à tour, comme tout-à-fait idéal, ou tout-à-fait réel. La première formule est toute négative ; la seconde suppose une condition plus difficile à comprendre que la proposition elle-même, et la troisième formule est tout-à-fait celle de Spinosa : la substance absolue peut être reconnue comme pensée ou comme étendue. M. Schelling n’a donc pu s’avancer dans la voie philosophique plus loin que Spinosa, puisqu’on ne peut comprendre l’absolu que sous la forme de ces deux attributs, pensée et étendue. Mais M. Schelling abandonne maintenant la voie philosophique, et cherche à arriver par une sorte d’intuition mystique à la contemplation de l’absolu même ; il cherche à le contempler dans son point central, dans son essence, où il n’y a ni idéal ni réel, ni pensée, ni étendue, ni sujet, ni objet, ni esprit, ni matière, mais… que sais-je ? moi !

C’est là que cesse la philosophie chez M. Schelling, et que commence la poésie, je veux dire la folie. C’est là qu’il rencontre aussi le plus d’écho chez une foule d’extravagans qui se trouvent fort bien d’abandonner la réflexion calme, et d’imiter en quelque sorte ces derviches tourneurs qui pivotent et tourbillonnent jusqu’à ce que le monde objectif et subjectif échappe à leurs yeux, jusqu’à ce que ces deux mondes se fondent dans un rien blanchâtre qui n’est ni idéal ni réel, jusqu’à ce qu’ils voient quelque chose qui n’est pas visible, entendent ce qui n’est pas sensible, voient