Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/675

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
675
DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

sophie de la nature, qu’il fallait parquer les peuples comme des troupeaux… À la même époque, M. Goerres prêchait l’obscurantisme du moyen-âge, en partant de cette idée philosophique : que l’état n’est qu’un arbre et qu’il doit, dans sa distribution organique, avoir aussi un tronc, des branches et des feuilles, ce qu’on trouvait si admirablement dans la hiérarchie des corporations du moyen-âge… À la même époque, un autre philosophe de la nature, M. Steffens, proclamait le principe en vertu duquel la classe des paysans doit être distinguée de la noblesse parce que le paysan a reçu de la nature le droit de travailler sans jouir, et le noble celui de jouir sans travailler… Tout récemment, il y a de cela quelques mois, un gentillâtre de Westphalie, maître sot, a publié un mémoire dans lequel il supplie le gouvernement de sa majesté le roi de Prusse d’avoir égard au parallélisme conséquent que la philosophie démontre dans l’organisme du monde, et de faire des séparations politiques plus sévères, vu qu’à l’instar de ce qui se voit dans la nature, où sont les quatre élémens, le feu, l’air, l’eau et la terre, il y a dans la société quatre élémens analogues qui sont la noblesse, le clergé, les bourgeois et les paysans.

Quand on vit bourgeonner de l’arbre philosophique des folies aussi affligeantes, qui s’épanouirent en fleurs empoisonnées ; quand on remarqua surtout que la jeunesse allemande, abîmée dans les abstractions métaphysiques, oubliait les intérêts les plus pressans de l’époque, et qu’elle était devenue inhabile à la vie pratique, les patriotes et les amis de la liberté durent éprouver un juste ressentiment contre la philosophie, et quelques-uns ont été jusqu’à rompre avec elle comme avec un jeu frivole et stérile en résultats.

Nous ne serons pas assez sot pour réfuter sérieusement ces mécontens. La philosophie allemande est une affaire importante qui regarde l’humanité tout entière, et nos arrière-neveux seront seuls en état de décider si nous méritons le blâme ou l’éloge pour avoir travaillé notre philosophie en premier, et notre révolution ensuite. Il me semble qu’un peuple méthodique, comme nous le sommes, devait commencer par la réforme pour s’occuper ensuite de la philosophie, et n’arriver à la révolution politique qu’après avoir passé par ces phases. Je trouve cet ordre tout-à-fait raisonnable. Les têtes que la philosophie a employées à la méditation,