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SONNETS DE SHAKSPEARE.


Je n’ai pas vu marcher la reine de Cythère ;
Quand ma maîtresse marche, elle foule la terre.
Son parler, qui me plaît, d’un luth n’a pas les sons ;

Son haleine n’a point les parfums d’une rose :
Et pourtant mon amour, confrères, je suppose,
Vaut bien tous les objets de vos comparaisons.


Vous croyez peut-être que, bien corrigés, nos deux amans vont rester unis à tout jamais ; hélas ! non. Les chagrins reviennent à tire-d’aile. Le meilleur de ses jours est passé ! Il l’engage à ne pas le désespérer, de peur qu’il ne devienne fou et ne s’emporte jusqu’à médire d’elle ; et comme elle ne tient pas compte de son avis, la menace se réalise en partie ; notre amoureux critique et reproche. Mais nous qui le connaissons, nous savons que cela ne peut durer, et bientôt, en effet, il lui adresse ce sonnet si plein de délicatesse et de sensibilité :


Comme une ménagère active, s’il s’enfuit
Quelqu’un de ses sujets, hâtant son pied de l’aile,
Met son enfant par terre, et court droit au rebelle
Qui va d’un pas plus prompt, sentant qu’on le poursuit ;

Tandis qu’abandonné, l’enfant craintif la suit,
Cherche à la rattraper, lui tend les bras ; mais elle,
Tout entière au désir de ravoir l’infidèle,
Laisse pleurer son fils, qui l’appelle à grand bruit.

Ainsi tu cours après celui qui t’a séduite ;
Et moi, ton pauvre enfant, je me traîne à ta suite !
Mais retourne vers moi lorsque tu l’auras pris.

Comme une tendre mère, un doux baiser, sois bonne ;
Et je vais prier Dieu qu’à tes vœux il le donne,
Si tu reviens à moi pour apaiser mes cris.


Cette prière si attendrissante ne produit aucun effet, et cette fois le voilà complètement révolté : son amour est une fièvre ! il déraisonnait ! il a juré qu’elle était belle, éblouissante, elle qui est